đȘ La Vraie Science Est Une Ignorance Qui Se Sait
Nossavoirs, loin de se dĂ©gager au cours de l'histoire comme une architecture massive et limpide, se rĂ©vĂšlent au contraire comme opaques et trouĂ©s d'ignorances.. Ces ignorances revĂȘtent plusieurs formes.. Il y a ce qu'on croit savoir, le prĂ©jugĂ©, source de haine et d'incomprĂ©hension. Il y a ce qu'on a oubliĂ©, ce patrimoine qui se perd Ă mesure que l'on
Citationde Michel de Montaigne sur Science Une citation au hasard ? >> La vraie science est une ignorance qui se sait. 27 Citation de célébrité Michel De Montaigne Artiste, écrivain, Homme
Lemot "ignorance" est utilisĂ© en deux significations. Tout d'abord, c'est un manque intellectuel de culture et d'ignorance. Quand une personne ne connaĂźt pas, par exemple, tout comme Sherlock Holmes, que la Terre tourne autour du Soleil. DeuxiĂšmement, la dĂ©finition de «l'ignorance» a un sens familier â de se comporter de maniĂšre
Lascience qui Ă©tudie ce phĂ©nomĂšne se nomme lâagnotologie. Elle Ă©tait lâobjet d'une table ronde, aux câest que câest vrai. « Robert Faurisson a
La« science qui ne se fait pas » relĂšve de cette grande variante, si elle dĂ©signe bien cette connaissance qui pourrait ĂȘtre produite, sur la base dâune ignorance bien identifiĂ©e, mais qui nâaboutit pas Ă une recherche, par exemple parce quâelle nâest pas brevetable, ou parfois parce quâelle est menaçante Ă lâĂ©gard dâintĂ©rĂȘts industriels. Cette variante a
Scienceen questions, le samedi de 16h Ă 17h sur France Culture. Dans cette nouvelle Ă©mission dĂ©diĂ©e Ă la science et Ă ses spĂ©cialistes, Ătienne Klein et ses invitĂ©s mettent en lumiĂšre les savoirs des scientifiques, les questions quâils se posent et les moyens mis en Ćuvre pour trouver des rĂ©ponses. Accueil.
Lavraie astrologie est naturelle et ne confond pas l'objet et le sujet, mais les différencie et les réunit . dans leur complémentarité. L' astrologue (le vrai ou la vraie astrologue) aide la personne à développer et actualiser ses potentialités, ses propres forces inconscientes et respecte sa différence, son unicité irréductible. La personne prend connaissance,
Cen'est pas dans la science qu'est le bonheur, mais dans l'acquisition de la science. Edgar Poe, Puissance de la parole. Le bonheur intellectuel rĂ©side dans la recherche et dans l'apprentissage. Celui qui saurait tout d'une science se priverait de ces plaisirs ainsi que de celui de la dĂ©couverte. La vĂ©ritable science enseigne, par-dessus tout, Ă douter et Ă ĂȘtre
Je ne sais quâune chose câest que je ne sais rien », explique-t-il avec une sage humilitĂ©. Il faut s'efforcer de rechercher toujours la vĂ©ritĂ© pour traquer la suffisance et lâignorance. Lorsque le procĂšs sâachĂšve, le spectateur sourit jaune Ă lâironie socratique qui fait Ă©cho Ă sa rĂ©alitĂ©. Comme pour les jurĂ©s du
Leurenseigner que la science est un grimoire Ă mĂ©moriser nâest pas la bonne mĂ©thode. Je travaille actuellement Ă une Ă©dition de LâIgnorance destinĂ©e Ă accompagner les fastidieux manuels scolaires pendant les cours de science dispensĂ©s aux adolescents de 15 Ă 18 ans. Cet ouvrage leur enseignera que la science, câest ce que lâon ignore, plutĂŽt
Lediscernement critique kantien consiste, notamment, Ă distinguer entre le subjectif : le « tenir-pour-vrai » (FĂŒrwahrhalten) et lâobjectif : les conditions objectives du « savoir-vrai ».AppliquĂ© Ă la croyance, dont les trois degrĂ©s sont pour lui lâopinion, la foi et la science, on observe que la premiĂšre est une croyance qui se sait insuffisante tant subjectivement qu
Dela docte ignorance (De docta ignorantia) est un ouvrage de Nicolas de Cues, écrit en 1440, consacré à Dieu (livre I), à l'univers (livre II) et à Jésus-Christ (livre III) [1].. Présentation générale. Le point de départ de la pensée de Nicolas de Cues est de déterminer avec précision la nature de la connaissance.Nicolas de Cues prend pour modÚle la
Maiscela est en fait basĂ© sur une histoire vraie, qui sâest dĂ©roulĂ©e entre 2000 et 2007 et a abouti Ă des peines de prison pour John et Anne Darwin pour fraude. La nouvelle sĂ©rie pourra-t-elle rendre justice Ă une histoire aussi farfelue ? Introduction : AprĂšs un graphique qui dit que lâhistoire que nous allons voir est vraie, il suffit avec quelques
Ledoute et la certitude sont engagĂ©s dans une altercation sĂ©culaire. Ils forment un vieux couple, turbulent mais insĂ©parable : le partage entre ce que lâon sait et ce que lâon croit demeure lâune des grandes affaires des philosophes, et, de Socrate Ă Wittgenstein en passant par Pyrrhon et Descartes, les critĂšres du vrai nâont jamais cessĂ©
Doncle philosophe aurait en plus de la conscience de son ignorance le seul souci de la vĂ©ritĂ© et une prĂ©disposition Ă la chercher qui pourrait ĂȘtre la capacitĂ© Ă sâĂ©tonner ou une sorte de savoir confus que les choses ne sont pas nĂ©cessairement ce quâelles semblent ĂȘtre, quâil nây a rien dâĂ©vident. Il est vrai que nous avons dâautres soucis que celui
E3RKyL. On me pose souvent la question quâest-ce que la philosophie ? â A quoi sert-elle ? Dans la mesure oĂč un chapitre de mon blog est destinĂ© Ă Ă©lucider ces questions, je supprime dâordinaire ces messages. Mais ils sont, sans doute, le signe, que certains internautes sont en quĂȘte dâun cours synthĂ©tique comblant une curiositĂ© bien lĂ©gitime celle du lycĂ©en nâayant jamais fait de philosophie ou celle de lâhonnĂȘte homme ayant parfois des doutes sur lâintĂ©rĂȘt dâune discipline trop souvent galvaudĂ©e sur la scĂšne publique. Car la philosophie est Ă la mode mais il n'est pas sĂ»r que ceux qui en assurent le succĂšs mĂ©diatique en soient les plus fidĂšles serviteurs. Reste que, comme le montre la frĂ©quentation des grands philosophes, rien n'est plus problĂ©matique que la rĂ©ponse Ă une telle question. Cela tient au fait que la dĂ©finition de la philosophie est en jeu dans le questionnement et la pratique philosophiques eux-mĂȘmes. Chaque auteur incarne l'intentionnalitĂ© philosophique Ă sa maniĂšre, en rĂ©actualise la nature et les fins de telle sorte qu'il peut ĂȘtre intĂ©ressant d'en dĂ©crire les variantes. Mais ce n'est pas mon objectif dans cet article oĂč je cherche avant tout Ă saisir l'intentionnalitĂ© philosophique elle-mĂȘme dans ce qu'elle a de plus essentiel. D'oĂč ce cours oĂč je dĂ©fends une certaine IDEE de la philosophie, celle que Platon attribue Ă Socrate et qui inspire la plupart des cours du premier chapitre de ce blog. Cette IDEE peut ĂȘtre discutĂ©e par tous ceux qui, de l'intĂ©rieur de la philosophie, sont conduits Ă la problĂ©matiser, mais il me semble qu'on ne peut pas, sans contradiction, disqualifier radicalement la posture socratique et se prĂ©tendre philosophe. Quâest-ce donc que la philosophie ? Quelle est sa nature et quels sont ses enjeux ? LâĂ©tymologie du mot fournit une premiĂšre indication. Selon la terminologie grecque, ÏÎčλοοÏία est composĂ© de ÏÎčλΔáżÎœ, aimer » et de ÎżÏία, la sagesse, le savoir» , la philosophie se dĂ©finit comme amour de la sagesse. Mais que faut-il entendre par lĂ ? I Le philosophe nâest pas le sage. Il importe de souligner quâen se prĂ©sentant comme un amoureux de la sagesse, le philosophe annonce clairement quâil ne prĂ©tend pas ĂȘtre un sage. Le ÏÎčÎ»ÎżÎżÏ nâest pas le ÎżÏ, ce Sage qui Ă©tait lâobjet dâun culte dans la GrĂšce antique. [Pour mĂ©moire Le chiffre sept Ă©tant considĂ©rĂ© comme celui de la sagesse, la tradition voulait que ces Sages fussent au nombre de sept. La liste de ces sept personnes avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e par les prĂȘtres de Delphes selon l'oracle en 585 av. Mais elle peut varier selon les historiens. Il s'agit, selon DiogĂšne LaĂ«rce de ThalĂšs de Milet, Bias de PriĂšne, Solon dâAthĂšnes, Chilon de Sparte, PĂ©riandre de Corinthe, ĂpimĂ©nide de CrĂšte, PhĂ©rĂ©cyde de Syros, Pittacos de MytilĂšne, ClĂ©obule de Lindos Ă Rhodes, Myson originaire dâune obscure bourgade continentale et Anacharsis fils dâun roi barbare et dâune Grecque]. La figure du philosophe, celle de Socrate, Ă©merge historiquement par contraste avec celle du Sage. Certes, celui que l'on a appelĂ© le pĂšre de la philosophie » fut reconnu par lâoracle de Delphes comme lâhomme le plus sage dâAthĂšnes. Mais la rĂ©ponse de la Pythie Ă la question de son ami ChĂ©rĂ©phon, ne cesse dâĂ©tonner Socrate. Il ne comprend pas quâon puisse lui faire cet honneur, car sâil y a quelque chose qui le distingue de ses concitoyens, câest bien la conscience de son indigence. Il proclame haut et fort ne rien savoir. Tout ce que je sais, câest que je ne sais pas, dit-il, et sâil interroge sur la place publique les hommes quâil croise, sur les grands sujets qui devraient prĂ©occuper la conscience humaine, il ne prĂ©tend pas connaĂźtre la rĂ©ponse Ă ses questions. Etrange figure que celle de cet homme dont la mission consiste Ă Ă©veiller les hommes Ă la conscience dâeux-mĂȘmes. Il les exhorte Ă se connaĂźtre eux-mĂȘmes, Ă se rĂ©flĂ©chir dans le mystĂšre de leur condition. Or ramenĂ©e Ă sa vĂ©ritĂ© existentielle, celle-ci est celle dâun ĂȘtre travaillĂ© par lâĂ©nergie du dĂ©sir. Vivre, pour chacun dâentre nous, câest dĂ©sirer, câest nous projeter vers des objets ou des buts dont nous attendons lâaccomplissement de notre existence. Mais que dĂ©sirons-nous vraiment ? En disant quâil nâa quâun seul savoir, le savoir dâEros, lâamour-dĂ©sir, [ Moi qui fais profession de ne savoir que lâamour » Banquet, 177d], Socrate se prĂ©sente comme celui qui dramatise dans sa personne la rĂ©ponse Ă cette interrogation. Il signifie dâabord quâun ĂȘtre de dĂ©sir est un ĂȘtre privĂ© de la plĂ©nitude des dieux. Le dĂ©sir est la marque en creux dâun manque, dâune pauvretĂ© ontologique car on ne dĂ©sire pas ce que lâon possĂšde, seulement ce dont on est privĂ©. Mais pour tendre vers ce qui pourrait nous combler, il faut bien avoir conscience de ce manque et en ce sens le dĂ©sir est riche, car seul celui qui a lâintelligence de sa misĂšre est en mesure de la surmonter. Socrate est donc Ă la fois pauvre et riche. Comme Eros, dont il se veut lâarchĂ©type, sa nature est ambiguĂ«. Il nâa pas la perfection des dieux mais il tend vers elle et sâil nomme sagesse ce qui permet au dĂ©sir dâavoir lâintelligence de lui-mĂȘme et de ne pas se fourvoyer dans des impasses, câest que le souverain bien de la vie nâest pas offert aux hommes comme un don du ciel. Son vrai nom, câest le bonheur et il se trouve quâil nây a pas de bonheur possible sans la comprĂ©hension de ce qui peut nous rendre heureux et la mise en Ćuvre des moyens appropriĂ©s Ă cette fin. VoilĂ pourquoi de dĂ©sir philosophique ou dĂ©sir de sagesse est au fond le savoir et la sagesse du dĂ©sir. Non point que la sagesse soit en soi la fin de lâexistence. Ce que nous visons comme la fin suprĂȘme, câest la rĂ©ussite de notre vie, son accomplissement, mais sans la sagesse, cette fin est compromise. VoilĂ pourquoi les Anciens la dĂ©finissent comme la mĂ©thode de la vie bonne et heureuse. Ce faisant, ils confĂšrent Ă la philosophie sa dimension existentielle. Ce qui est en jeu en elle, câest bien autre chose quâun simple exercice intellectuel, ce nâest rien moins que notre ĂȘtre et notre vie dans ce qui nous importe le plus, Ă savoir le bonheur. II Analyse de la notion de sagesse. A premiĂšre vue, par les temps qui courent, il faut bien reconnaĂźtre quâelle ne dĂ©finit pas un idĂ©al rĂ©jouissant. La mode est Ă tout ce qui est contre » ou anti » Cf. la contreculture, lâantiphilosophie, lâanti-art etc.. Peu importe que ce qui se croit anticonformiste soit le comble du conformisme ambiant, il nâen demeure pas moins que les idĂ©aux traditionnels de la sagesse semblent bien dĂ©suets. La passion, la dĂ©possession de soi-mĂȘme, le dĂ©lire, les exaltations sociales ou personnelles revĂȘtent plus de prestige dans une sociĂ©tĂ© du spectacle que les sobres vertus du philosophe socratique. Or si lâon en juge par la consommation que nos contemporains font des psychotropes ou des psys » tout court, on nâa pas lâimpression que la fascination des passions et de leurs excĂšs soit le sĂ©same du bonheur. Alors, ne soyons pas piĂ©gĂ©s par les prĂ©jugĂ©s du moment et voyons ce quâil faut entendre par sagesse. En un premier sens, le terme est synonyme de savoir le philosophe est un amoureux du savoir et la sagesse dĂ©finit un idĂ©al thĂ©orique. En un deuxiĂšme sens, il renvoie Ă une certaine maniĂšre de se conduire. Le philosophe se reconnaĂźt Ă une posture existentielle marquĂ©e par le sens de la mesure, la sĂ©rĂ©nitĂ©, le contentement, lâaccord avec soi-mĂȘme et avec le monde la sagesse dĂ©finit alors un idĂ©al pratique. Cette distinction entre la polaritĂ© thĂ©orique et la polaritĂ© pratique de la sagesse est purement spĂ©culative car les deux idĂ©aux sâimpliquent rĂ©ciproquement. Il est vain de croire que lâon puisse ĂȘtre sage sans ĂȘtre Ă©clairĂ© ou que lâon puisse exercer sa pensĂ©e avec rectitude dans la violence des passions ou le dĂ©rĂšglement de la conduite. Les Anciens avaient deux mots pour dĂ©signer les deux dimensions de la sagesse sophia pour le savoir ou sagesse thĂ©orique et phronĂ©sis pour la sagesse pratique ou prudence. A La sagesse comme idĂ©al thĂ©orique. Le recours Ă lâidĂ©e de sagesse ne va pas de soi lorsquâil est question du savoir car on oppose dâordinaire le savoir Ă lâignorance non Ă ce que connote lâabsence de sagesse, et que pour aller vite on qualifie parfois de fou ». Il sâensuit quâon a peine Ă croire que, comme il y a des conduites folles », il y a des pensĂ©es folles ». Or si lâon entend par lĂ le caractĂšre insensĂ©, aberrant, irrĂ©flĂ©chi, infondĂ© des reprĂ©sentations et du discours, il faut bien reconnaĂźtre que le manque de sagesse nâest pas le monopole des grands dĂ©lirants. Ceux-ci ont au moins lâavantage dâexhiber clairement la couleur mais on peut se demander sâils ne font pas que pousser Ă la limite un dĂ©sordre ne sĂ©vissant pas que dans lâenceinte de lâhĂŽpital psychiatrique. Car il ne suffit pas dâĂȘtre sain dâesprit pour ĂȘtre Ă lâabri de lâignorance, des aveuglements, de la bĂȘtise et de la bassesse et câest sans doute parce quâil a une conscience aiguĂ« de ce qui menace toujours lâexercice de lâesprit que le philosophe a une singularitĂ© parmi les siens. Il vit de la mĂȘme vie que tout le monde et pourtant il y a en lui une altĂ©ritĂ© irrĂ©ductible dont le prix est la solitude dans le meilleur des cas, la condamnation Ă mort dans celui de Socrate. Câest que le grand dĂ©tour qui se nomme philosophie change tout et dâabord la maniĂšre commune de penser. Comme tel, le philosophe est souvent vĂ©cu comme une offense vivante par tous ceux qui veulent se sentir au chaud dans leurs certitudes. Et ceux-ci ne se trompent pas. La pensĂ©e est dangereuse par nature. Elle est comme un grand vent qui balaie le confort intellectuel, subvertit les habitudes mentales, et toujours fait honte Ă la bĂȘtise et Ă la bassesse, pour reprendre une formule de paternitĂ© nietzschĂ©enne. Mais quâest-ce que cela signifie ? Pour sâen faire une idĂ©e prĂ©cise, il est urgent de comprendre ce que penser veut dire. 1 PensĂ©e immĂ©diate, pensĂ©e philosophique. Tous les hommes, du plus sauvage au plus civilisĂ©, Ă©tant porteurs dâun esprit, tous en font usage et si penser consistait seulement dans cet exercice, il faudrait dire que tous les hommes pensent. Tous, en effet, vivent dans un monde de significations et de valeurs. Le rĂ©el nâest pas pour eux une prĂ©sence muette, il est le corrĂ©lat du dĂ©voilement quâen opĂšrent la langue quâils parlent et la culture Ă laquelle ils appartiennent. Câest dire que tous visent du sens, se communiquent des significations et des valeurs structurant leur rapport au monde et celui quâils entretiennent entre eux. Parce quâil est parlant, lâhomme est un ĂȘtre pensant. En ce sens, la pensĂ©e nâest le monopole de personne, elle est le propre de lâhumaine condition, mĂȘme dans ses formes pathologiques car les paroles du malade mental, pour dĂ©lirantes quâelles soient, ne sont pas dĂ©nuĂ©es de sens. Et pourtant il ne suffit pas de faire usage de son esprit dans la parole pour penser vraiment. Lâenfant parle mais nul enfant nâest lâauteur dâune Ćuvre philosophique et pendant des millĂ©naires, des hommes ont vĂ©cu dans des sociĂ©tĂ©s ayant ignorĂ© ce que penser veut dire. Câest donc quâil y a une grande diffĂ©rence entre ce que lâon peut appeler la pensĂ©e immĂ©diate, spontanĂ©e et la pensĂ©e philosophique ou pensĂ©e tout court. Lâune se dĂ©ploie sous le signe de la passivitĂ©, lâautre sous celui de lâactivitĂ©. Lâune sâeffectue sous le signe de la dĂ©possession de la maĂźtrise spirituelle et morale, lâautre sous celui de la rĂ©appropriation de cette maĂźtrise. De fait, tant que ce que lâon pense est la caisse de rĂ©sonance de reprĂ©sentations ayant Ă©tĂ© construites Ă notre insu par lâĂ©ducation que nous avons reçue et par notre milieu culturel dâappartenance, il est erronĂ© de prĂ©tendre que nous sommes le sujet actif de nos pensĂ©es. Celles-ci ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es, indĂ©pendamment de notre initiative intellectuelle par des instances extĂ©rieures dont nous sommes inconsciemment le jouet. Nous les avons absorbĂ©es avec le lait maternel au cours de notre dĂ©veloppement par le seul fait dâĂȘtre immergĂ© dans un contexte familial, social, historique et dâapprendre Ă parler une langue particuliĂšre, car aucune langue nâest un dĂ©codage neutre de la rĂ©alitĂ©. Toutes analysent le rĂ©el conformĂ©ment aux intĂ©rĂȘts, aux traditions, Ă la situation singuliĂšre de tel ou tel groupe. Il sâensuit que sous sa forme immĂ©diate, la pensĂ©e est moins de lâordre du pensĂ© que de lâimpensĂ©. Elle fonctionne Ă lâintĂ©rieur dâun systĂšme de reprĂ©sentations dont elle subit, sans en avoir conscience, le dĂ©terminisme idĂ©ologique. Aussi est-elle le porte-parole de significations dont elle est prisonniĂšre. Celles-ci ont tellement bien Ă©tĂ© intĂ©riorisĂ©es quâelles se sont solidifiĂ©es sous la forme dâhabitudes mentales sâimposant avec une telle Ă©vidence quâelles constituent des obstacles internes Ă lâactivitĂ© pensante. Câest dire quâon ne pense pas comme on respire et quâil ne suffit pas de disposer dâun esprit pour penser vraiment. Câest pourquoi la philosophie nâest pas une pensĂ©e au premier degrĂ©. La pensĂ©e vĂ©ritable sâaccomplit toujours comme pensĂ©e de la pensĂ©e câest-Ă -dire comme mouvement de retour de lâesprit sur lui-mĂȘme afin de soumettre ses productions Ă lâexamen rationnel. Elle sâactualise donc comme reprise critique de ce qui jusquâalors allait de soi. Elle marque le moment oĂč le sens cesse dâĂȘtre acceptĂ© comme sens reçu pour devenir un sens problĂ©matique. Elle constitue donc un point de rupture entre un avant et un aprĂšs, ce que Socrate soulignait en disant que la vie philosophique est une sorte de seconde naissance. Et cela vaut aussi bien pour lâhumanitĂ© en gĂ©nĂ©ral que pour lâhomme en particulier. Pour lâhumanitĂ© en gĂ©nĂ©ral, câest patent, si lâon prend acte que la philosophie nâa pas toujours existĂ©. Elle naĂźt Ă Milet en Asie Mineure au VIĂšme siĂšcle avant ce fait tĂ©moignant que lâaventure humaine nâest pas substantiellement liĂ©e Ă lâaventure philosophique. En revanche, elle lâest Ă la pensĂ©e religieuse ou mythologique qui, elle, est de toujours et de partout. Les hommes ont en effet toujours eu besoin de rendre intelligible leur expĂ©rience, de comprendre dâoĂč ils viennent, oĂč ils vont, de fonder les rĂšgles de leur existence collective, la fonction des rĂ©cits mythiques Ă©tant dâapporter une rĂ©ponse Ă leurs questions. La pensĂ©e mythique a ainsi prĂ©cĂ©dĂ© la pensĂ©e rationnelle. Comme la science et la philosophie, sa vocation a Ă©tĂ© de produire de lâintelligibilitĂ©. Elle a fourni Ă nos plus lointains ancĂȘtres les significations et les valeurs sans lesquelles aucune vie humaine nâest possible, et aux sociĂ©tĂ©s le ciment idĂ©ologique nĂ©cessaire Ă leur cohĂ©sion. Mais il est clair que ce mode de pensĂ©e, qui reste vivant pour une grande partie de lâhumanitĂ© encore, est fondamentalement diffĂ©rent du mode de pensĂ©e rationnel. Il fait une large place Ă lâimaginaire en lieu et place de la raison. Il fait intervenir dans ses explications la croyance en des ĂȘtres surnaturels dont les actions sont au principe des choses telles quâelles sont et telles quâelles doivent continuer Ă ĂȘtre sous peine de grands dĂ©sordres cosmiques et sociaux. Et surtout il a ceci de caractĂ©ristique que les rĂ©cits mythiques ne se prĂ©sentent pas comme des crĂ©ations humaines mais comme des rĂ©vĂ©lations divines recueillies par des initiĂ©s faisant autoritĂ© dans le groupe. Il sâensuit que le logos le discours rationnel est ce qui se construit Ă partir du muthos et en rupture avec lui, cette conquĂȘte allant de pair sur la scĂšne sociale avec de profondes transformations. Car tant que les significations sont transmises sur le mode dâune tradition sacrĂ©e, leur vĂ©ritĂ© ne se discute pas, pas plus que ne se discute le pouvoir des gardiens du temple qui les imposent. La soumission aux vĂ©ritĂ©s religieuses est soumission Ă une tutelle thĂ©ologico-politique dont on ne dira jamais assez quâil ne suffit pas dâĂȘtre porteur dâun esprit pour sâen libĂ©rer. Ce prĂ©jugĂ© idĂ©aliste contribue Ă mĂ©connaĂźtre que la capacitĂ© dâinitier un rapport critique aux vĂ©ritĂ©s communĂ©ment reçues est liĂ©e Ă des conditions historiques particuliĂšres. 2 Les conditions dâĂ©mergence de la pensĂ©e philosophique. a Conditions matĂ©rielles dâordre Ă©conomique. Dâabord il faut avoir bien conscience que tant que les ressources de lâesprit sont essentiellement engagĂ©es dans la rĂ©solution des problĂšmes pratiques les hommes ne sont pas libres pour faire de la recherche de la vĂ©ritĂ© une fin en soi. Ils nâen ont ni le temps ni la disponibilitĂ© dâesprit. Comme dit le proverbe Vivre dâabord, philosopher ensuite ». En ce sens, la philosophie est un luxe. Elle est liĂ©e, dâune part Ă la richesse dâune sociĂ©tĂ© capable de faire Ă©merger une classe dâhommes ayant la libertĂ© de se poser des problĂšmes thĂ©oriques, dâautre part Ă une organisation sociale inĂ©galitaire, car pour que certains disposent de ce loisir, il faut que dâautres travaillent pour pourvoir aux besoins de la vie. Câest une sociĂ©tĂ© esclavagiste, puisant dans le rĂ©servoir immense de ses colonies une main dâoeuvre utile Ă sa prospĂ©ritĂ©, qui a inventĂ© la philosophie. Il ne faut pas voir dans cette vĂ©ritĂ© historique dĂ©rangeante une souillure de lâactivitĂ© pensante, ni mĂȘme considĂ©rer que la valorisation de la vie thĂ©orĂ©tique par les Grecs est purement idĂ©ologique comme le prĂ©tendent ceux qui ne voient dans leurs valeurs que lâexpression et la justification dâune situation dâintĂ©rĂȘts. [On appelle idĂ©ologique tout systĂšme de reprĂ©sentations n'ayant de valeur thĂ©orique quâen façade et reflĂ©tant, inconscient de son propre dĂ©terminisme, un contexte socio-Ă©conomique qu'il a pour fonction de justifier]. Il me semble quâil faut plutĂŽt y voir le tĂ©moignage que les activitĂ©s utilitaires ont par nature un rapport Ă la servitude. Car avant dâĂȘtre un scandale social, lâaliĂ©nation matĂ©rielle est le propre de la condition humaine en tant quâelle est contrainte, par la nĂ©cessitĂ© oĂč elle se trouve de satisfaire les besoins animaux, de sâadonner Ă des tĂąches qui ne sont pas pour elle des fins en soi mais seulement les moyens de fins imposĂ©es par la nature, manger, se vĂȘtir, se loger, se protĂ©ger etc.. Elle est condamnĂ©e Ă rĂ©soudre le problĂšme de sa survie avant de poursuivre ses fins propres. Câest dire que si le lait et le miel coulaient Ă flots, elle Ă©chapperait au fardeau du travail. Celui-ci est donc le tribut que lâhumanitĂ© paye au fait quâelle participe de lâanimalitĂ©. Sâil nâen Ă©tait pas ainsi, si sa nature Ă©tait purement spirituelle, lâexistence se dĂ©ploierait dâemblĂ©e dans sa libertĂ© et les hommes se consacreraient aux activitĂ©s qui sont le propre dâun ĂȘtre libre. Les Grecs les appellent les activitĂ©s libĂ©rales, la plus excellente dâentre elles Ă©tant lâactivitĂ© pensante parce quâen philosophant lâhomme ne fait pas autre chose quâaccomplir la fonction qui le distingue de lâanimal et le dĂ©finit dans son humanitĂ©. Ainsi donc, si ce fut bien pour Ă©chapper Ă l'ignorance que les premiers philosophes se livrĂšrent Ă la philosophie, c'est qu'Ă©videmment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s'est passĂ© en rĂ©alitĂ© en fournit la preuve ; presque toutes les nĂ©cessitĂ©s de la vie, et les choses qui intĂ©ressent son bien-ĂȘtre et son agrĂ©ment avaient reçu satisfaction, quand on commença Ă rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n'avons dans notre recherche, aucun intĂ©rĂȘt Ă©tranger. Mais de mĂȘme que nous appelons libre celui qui est Ă lui-mĂȘme sa propre fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libĂ©rale, puisque seule elle est Ă elle-mĂȘme sa propre fin » Aristote, MĂ©taphysique, Livre A, Tome1, Vrin, p. 9. b Condition politique. Il ne suffit pas nĂ©anmoins dâĂȘtre affranchi de la contrainte du travail pour avoir le loisir de penser. En tĂ©moigne le fait que de nombreuses sociĂ©tĂ©s antiques furent prospĂšres et pourtant elles nâont pas rendu possible lâapparition de la philosophie. Leur manquait la condition politique, celle qui fait de la possibilitĂ© dâexercer son esprit de maniĂšre autonome un droit inscrit dans le rapport politique. Car tant quâil est tabou » de mettre en doute les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es, tant que lâexercice libre de lâesprit expose Ă la prison ou la mort, la libertĂ© de penser est un leurre. Certes elle peut ĂȘtre le privilĂšge de quelques favorisĂ©s des dieux, vouĂ©s Ă la clandestinitĂ©, mais il ne faut pas surestimer les capacitĂ©s dâun esprit solitaire. On ne pense pas seul. Câest lâĂ©change, la circulation des idĂ©es, leur discussion qui permet Ă chacun de faire un usage fĂ©cond de son entendement. La philosophie suppose donc une sociĂ©tĂ© dans laquelle les savants et les penseurs peuvent faire un usage public de la raison. Elle implique que les significations et des valeurs soient discutĂ©es dans un large dĂ©bat public. LĂ oĂč les esprits Ă©clairĂ©s sont condamnĂ©s au silence, lĂ oĂč une pensĂ©e unique se protĂšge par lâintimidation ou la terreur de toute entreprise critique, les esprits ne sont pas en situation de sortir de lâobscurantisme dans lequel on les enferme. Les LumiĂšres et leur progrĂšs sont donc affaire collective beaucoup plus quâaffaire personnelle. Comme lâĂ©crit Kant Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec dâautres, qui nous font part de leurs pensĂ©es, et auxquels nous communiquons les nĂŽtres ? Aussi bien, lâon peut dire que cette puissance extĂ©rieure qui enlĂšve aux hommes la libertĂ© de communiquer publiquement leurs pensĂ©es, leur ĂŽte Ă©galement la libertĂ© de penser ». Quâest-ce que sâorienter dans la pensĂ©e ? Vrin, p. 86. Il sâensuit quâon se libĂšre collectivement de lâemprise des superstitions ou alors on reste massivement dans une situation de minoritĂ© intellectuelle et morale, imputable aux stratĂ©gies de domination de ceux qui cherchent Ă sauvegarder leur pouvoir mais aussi Ă la lĂąchetĂ© et Ă la paresse du plus grand nombre. Il nâest donc pas Ă©tonnant que la sociĂ©tĂ© qui a inventĂ© la philosophie soit aussi celle qui a inventĂ© la dĂ©mocratie. La philosophie est fille de la citĂ© » se plaĂźt Ă dire Jean-Pierre Vernant. Avec cette invention, lâhumanitĂ© se rĂ©approprie le pouvoir qui avait Ă©tĂ© jusquâalors confĂ©rĂ© aux dieux, Ă savoir le pouvoir dâinstituer son monde. Les hommes revendiquent le droit de dĂ©cider des rĂšgles de leur vie collective, de discuter de la loi, dâĂȘtre lâauteur de leur histoire. Cette rĂ©appropriation du pouvoir politique marque lâentrĂ©e des sociĂ©tĂ©s dans le rĂ©gime de lâhistoricitĂ©. Car tant que la source du sens et de la loi est lâinstance divine, les hommes nâont pas la libertĂ© dâĂȘtre les auteurs de leur aventure. Ils sont hĂ©tĂ©ronomes. Ils reçoivent leur loi dâen-haut ou dâailleurs. Câest lâinvisible qui rĂšgle le visible, le sacrĂ© qui rĂšgle le profane, lâanhistorique qui rĂ©git lâhistorique. Lâhomme archaĂŻque vit son histoire en lâannulant. Tous ses actes sont des rites de commĂ©moration, de participation, de rĂ©pĂ©tition du passĂ© fondateur. Comme lâĂ©crit Marcel Gauchet La religion, câest lâĂ©nigme de notre entrĂ©e Ă reculons dans lâhistoire » Le dĂ©senchantement du monde, Gallimard, 1985, En ce sens lâavĂšnement de la philosophie trace une frontiĂšre entre ce que lâon peut appeler avec Jan Patocka la condition prĂ©-historique » de lâhumanitĂ© et sa condition historique », celle qui a Ă©tĂ© ouverte par les Grecs. Histoire froide, stationnaire dâun cĂŽtĂ©, histoire chaude de lâautre. Modestie du sens reçu dans lâune, problĂ©maticitĂ© du sens interrogĂ© dans lâautre. LâactivitĂ© pensante ne va donc pas sans situation de crise. Crise du sens, Ă©branlement du sens reçu, effondrement des repĂšres traditionnels. Est-ce Ă dire que la philosophie sâaccomplisse comme anarchie intellectuelle et politique, triomphe des arbitraires individuels, nihilisme du sens, revendication dâune autonomie anomique ? Certes non, mais pour le comprendre, il importe de bien voir que les conditions matĂ©rielle et politique ne suffisent pas encore Ă rendre possible lâintentionnalitĂ© philosophique, il y faut aussi des conditions intellectuelles et morales. c Condition intellectuelle et morale. Conditions aussi difficiles Ă expliciter quâĂ mettre en oeuvre car, une fois les deux premiĂšres assurĂ©es, seule lâinitiative personnelle est en cause. Or rien nâest plus rare de la part des hommes quâun authentique esprit philosophique, rare et dangereux comme le montre le destin de Socrate. En 399 av. AthĂšnes condamne le philosophe Ă boire la ciguĂ«, et comme chacun sait, la citĂ© athĂ©nienne nâest ni une tyrannie, ni un totalitarisme, câest une dĂ©mocratie. Comment sâexpliquer une telle tragĂ©die ? Nâest-ce pas la preuve que si la libertĂ© politique est nĂ©cessaire pour penser librement, elle nâest pas suffisante ? Dâautres puissances dâaliĂ©nation sont Ă mettre hors-jeu, dâautres obstacles Ă surmonter, dâautant plus redoutables quâils ne sont pas externes, mais internes Ă la pensĂ©e. SpontanĂ©ment, en effet, chacun croit quâĂȘtre libre de penser consiste Ă penser ce que lâon veut. On confond volontiers la libertĂ© de la pensĂ©e avec la libertĂ© dâopinion. Or opiner nâest pas penser. Tous les hommes ont des opinions mais peu dâhommes pensent. VoilĂ un paradoxe qui en surprend plus dâun car autant les hommes ont plaisir Ă sâentendre dire quâils sont libres de penser, autant il leur est pĂ©nible dâavoir Ă sâaffranchir de ce qui rend cette libertĂ© illusoire. Ils croient naĂŻvement que la libertĂ© de lâesprit est une donnĂ©e alors quâelle est une conquĂȘte. En tĂ©moignent les attentes des lycĂ©ens rentrant en classe de philosophie. Ils en espĂšrent avant tout des satisfactions narcissiques. Enfin lâoccasion va leur ĂȘtre donnĂ©e, comme dans un cafĂ© philosophique, de pouvoir exprimer leurs opinions, dâĂȘtre pris en sĂ©rieux dans ce quâils imaginent ĂȘtre leur pensĂ©e personnelle ». Et quelle nâest pas leur dĂ©ception, voire leur irritation lorsque, confrontĂ©s au professeur de type socratique, ils sont mis en demeure dâexaminer ce quâils disent et de dĂ©couvrir souvent que leur propos ne rĂ©siste pas Ă lâĂ©tamine de la raison ! Câest donc que lâacte de penser obĂ©it Ă certaines exigences. Quelles sont-elles ? VoilĂ ce quâil faut maintenant approfondir pour prendre la mesure de la conversion intellectuelle et morale quâimplique lâactivitĂ© pensante. Car celle-ci ne se dĂ©ploie pas comme un mouvement naturel. Penser, en effet, câest sâarrĂȘter. Voyez le penseur du sculpteur Rodin. Lâartiste figure dans cette statue, par contraste avec celle qui reprĂ©sente lâhomme qui marche, lâopĂ©ration mĂȘme de la pensĂ©e. Il donne Ă voir ce qui nâa pas de visibilitĂ© car, sâagissant dâun processus spirituel, celui-ci ne se dĂ©ploie pas, comme le geste physique, dans lâextĂ©rioritĂ© perceptible. Et pourtant il est liĂ© Ă une posture corporelle. Le penseur est en arrĂȘt, repliĂ© sur soi, comme sâil Ă©tait mis en situation de changer la direction de son regard, de lâorienter dans une autre direction. Non plus expansion et extĂ©riorisation existentielle mais retour sur soi et dĂ©ploiement des potentialitĂ©s de lâintĂ©rioritĂ© spirituelle. Lâacte par lequel la pensĂ©e se pose dans sa libertĂ© et advient Ă lâexistence est ainsi insĂ©parable dâune certaine attitude mentale dĂ©finissant en propre lâĂ©veil philosophique. Voyons ce qui le caractĂ©rise. 3 Les caractĂšres de lâesprit philosophique. a La facultĂ© de sâĂ©tonner. Un sujet pensant est un ĂȘtre renouant avec une vertu de lâenfance consistant Ă poser un regard Ă©tonnĂ© sur le monde. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutĂŽt que rien ? Pourquoi les choses sont-elles ainsi et pas autrement ? LâĂ©tonnement est le contraire de lâinertie intellectuelle, celle qui finit par triompher des questions en leur substituant le confort des rĂ©ponses reçues. Car lâenfant est Ă la fois celui qui interroge avec la vivacitĂ© dâun esprit curieux, et celui qui fait confiance Ă lâautoritĂ© lui fournissant la rĂ©ponse. Il est crĂ©dule, cette crĂ©dulitĂ© ayant tĂŽt fait de lâendormir et dâen faire une proie facile pour tous les endoctrinements idĂ©ologiques. LâĂ©veil intellectuel a ceci de singulier quâil fait retrouver la disponibilitĂ© de lâenfance au questionnement tout en rompant avec sa naĂŻvetĂ© et sa passivitĂ©. Les rĂ©ponses communes ne sont plus ce qui le clĂŽt, elles sont au contraire ce qui le suscite. Surtout quand on prend acte de leur multiplicitĂ© et de leur diversitĂ©. Nâest-il pas Ă©tonnant que les rĂ©ponses des hommes Ă des questions identiques soient si diffĂ©rentes ? Comment ne pas ĂȘtre interpellĂ© par lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et les contradictions des reprĂ©sentations humaines ? Le philosophe EpictĂšte disait, en ce sens, que ce qui initie lâeffort de penser est moins lâĂ©nigme du monde que les contradictions des opinions humaines prĂ©tendant la rĂ©soudre. VoilĂ le dĂ©but de la philosophie. Toutes les opinions sont-elles justes? Comment pourraient-elles l'ĂȘtre si elles se contredisent? â Toutes ne sont donc pas justes, mais du moins celles qui sont les nĂŽtres â Et pourquoi celles-ci plutĂŽt que celles des Syriens ou des Egyptiens? Pourquoi les miennes plutĂŽt que celles de tel ou tel ? â Pas plus les unes que les autres ». Entretiens, II, XI. SâĂ©tonner revient donc Ă rompre avec le familier, autrement dit Ă faire lâexpĂ©rience que ce qui jusquâalors allait de soi a perdu pour nous son Ă©vidence. ExpĂ©rience vertigineuse parfois. Les grands auteurs ne cachent pas quâil y a dans cette prise de conscience un vĂ©cu dĂ©stabilisant, angoissant. La tentation est grande de se dĂ©rober Ă la tĂąche ainsi initiĂ©e. Retrouver la quiĂ©tude du sens reçu plutĂŽt que sâengager dans lâaventure de la recherche de la vĂ©ritĂ©. Celle-ci requiert du courage et dâabord celui de cesser de sâaliĂ©ner dans des contenus de pensĂ©e consacrant son hĂ©tĂ©ronomie pour examiner avec ses seules ressources ce quâil en est de leur prĂ©tention Ă la vĂ©ritĂ©. Est-ce par paresse et par lĂąchetĂ©, comme lâanalyse Kant, que la plupart des hommes nâassument pas cette responsabilitĂ© de lâesprit ? Ils renoncent Ă se servir de leur entendement et semblent se complaire dans leur minoritĂ© intellectuelle. Que cette complaisance soit de rigueur dans un contexte social oĂč la pluralitĂ© des opinions nâa pas droit de citĂ©, on peut encore le comprendre. Mais que la nĂ©cessitĂ© de distinguer le vrai du faux ne se fasse pas impĂ©rativement sentir lĂ oĂč sâexpriment les opinions les plus diverses et les plus contradictoires, voilĂ qui laisse perplexe. Comment est-il possible que les hommes sâaccommodent si bien de la contradiction des rĂ©ponses donnĂ©es Ă leur question ? Comment peuvent-ils dire de la mĂȘme chose, considĂ©rĂ©e sous le mĂȘme rapport une chose et son contraire, sans que cette inconsĂ©quence ne les dĂ©range ? Il y a lĂ un double scandale pour lâesprit Dâabord celui quâincarne le conflit des opinions. Impossible de sâen satisfaire si lâon est un esprit qui se respecte car le principe de non contradiction et le souci de la vĂ©ritĂ© sont des exigences essentielles de la raison humaine. Deux propositions contradictoires ne peuvent ĂȘtre simultanĂ©ment valides. La nĂ©cessitĂ© de les soumettre Ă lâexamen rationnel sâimpose afin de sortir de la contradiction et de faire triompher la vĂ©ritĂ©. Pourquoi donc si peu dâhommes se sentent tenus de procĂ©der Ă cet examen ? Cela signifie-t-il que la majoritĂ© a renoncĂ© Ă toute prĂ©tention Ă la vĂ©ritĂ© ? Car si vĂ©ritĂ© il peut y avoir, elle ne saurait varier dâun individu Ă un autre, dâune Ă©poque Ă une autre, dâun groupe Ă un autre. LĂ oĂč il y a plusieurs vĂ©ritĂ©s, la cohĂ©rence veut quâil nây ait pas de vĂ©ritĂ© du tout. Alors, la complaisance de la plupart des hommes Ă lâendroit du conflit des opinions tĂ©moigne-t-elle quâils ont fait le deuil de la vĂ©ritĂ© ? Nullement et câest le second scandale. Celui que reprĂ©sente lâinconsĂ©quence humaine Ă revendiquer la vĂ©ritĂ© pour des Ă©noncĂ©s nâayant aucune lĂ©gitimitĂ© Ă une telle prĂ©tention. Car comment puis-je savoir si ce que je dis est vrai tant que je nâai pas pris la peine dâexaminer si jâai raison de le croire ? Or tel est le propre de ce que les Grecs appellent la doxa, ou de ce que nous traduisons par lâopinion. Est opinion, toute affirmation nâayant pas Ă©tĂ© soumise Ă un examen critique. Elle est reçue comme vraie sans que lâesprit ne se soit prĂ©occupĂ© sĂ©rieusement de savoir si cet Ă©noncĂ© est vrai ou faux. Toutes nos idĂ©es premiĂšres sont en ce sens des opinions, câest-Ă -dire des prĂ©jugĂ©s, des a priori », des idĂ©es toute faites. On les croit vraies mais on ne sait pas si on est fondĂ© Ă le croire. On ne peut donc pas les Ă©tayer sur de solides raisons thĂ©oriques, et pourtant elles nâen sont pas moins certaines pour celui qui les Ă©nonce. Etrange paradoxe moins une idĂ©e est interrogĂ©e dans sa valeur de vĂ©ritĂ©, plus elle revĂȘt le prestige de la vĂ©ritĂ© pour son adepte. Lâopinion est dogmatique par nature. Or le pire ennemi de lâesprit, ce nâest pas lâerreur, câest le dogme. Retrouver la facultĂ© de sâĂ©tonner revient donc Ă se rĂ©veiller dâune sorte de sommeil dogmatique et Ă devenir disponible pour une vĂ©ritable recherche de la vĂ©ritĂ©. Câest Ă cette tĂąche que sâemploie Socrate dans son rapport Ă ses concitoyens. Par la pratique de lâironie, feinte naĂŻvetĂ©, il sâefforce de dĂ©stabiliser ses interlocuteurs afin de leur rendre une libertĂ© quâils ont perdue. Ils sont tellement persuadĂ©s de possĂ©der la rĂ©ponse aux questions que Socrate leur pose quâils ne prennent pas le temps de les rĂ©flĂ©chir. Ils sont prisonniers dâun pseudo-savoir que lâinterrogation socratique fait Ă©clater en les confrontant Ă leurs contradictions. Ce faisant, ils prennent conscience de leur ignorance et peuvent initier la conversion intellectuelle et morale dont on a parlĂ© prĂ©cĂ©demment. De fait, dĂšs lors quâon sâĂ©tonne Ă nouveau, et dâabord de sa propre inconsĂ©quence, on transforme radicalement son rapport au vrai et aux autres. On nâest plus, avec eux, dans une stratĂ©gie de pouvoir, oĂč lâenjeu est de leur imposer une vĂ©ritĂ© dont on se croit titulaire. Il sâagit, Ă partir dâune inscience enfin consciente dâelle-mĂȘme, de se disposer Ă chercher ensemble la vĂ©ritĂ© qui nous manque. Moment libĂ©rateur de la mission socratique. Comme une torpille, elle paralyse mais comme le taon elle rĂ©veille. Il faut bien balayer le faux pour rendre possible lâĂ©piphanie du vrai. Et cela passe par la mise en Ćuvre dâun second caractĂšre de lâesprit philosophique. b Esprit de doute. Douter consiste Ă cesser de subir lâempire dâune certitude. Servitude intĂ©rieure, la certitude lâest car elle est lâĂ©tat dâun esprit qui adhĂšre Ă un contenu de pensĂ©e quâil croit ou quâil sait ĂȘtre vrai. Un esprit absolument certain de quelque chose est privĂ© de toute possibilitĂ© de recul pour examiner la valeur de lâĂ©noncĂ© qui le tient autant quâil y tient. Rien nâest pire que lâadhĂ©sion massive, sans rĂ©serve, sans pensĂ©e de derriĂšre » dirait Pascal. Plus de jeu entre la pensĂ©e et son contenu. Plus de libertĂ©. Ce rapport aux idĂ©es est le propre du fanatisme, du sectarisme typique des engagements idĂ©ologiques. On ne peut pas discuter avec les esprits certains. Soit on les conforte dans leurs convictions, soit on les ignore, ou lâon se bat pour les empĂȘcher dâimposer socialement leur point de vue. La violence inhĂ©rente Ă la conviction dĂ©truit les conditions de possibilitĂ© dâun vrai dialogue entre les hommes de telle sorte que la capacitĂ© de sâarracher Ă ses malĂ©fices est la premiĂšre victoire de lâesprit sur lui-mĂȘme. Il nây a que les sots et les huĂźtres qui adhĂšrent » disait ValĂ©ry pour pointer lâampleur de lâaliĂ©nation consubstantielle Ă cette maniĂšre de se rapporter aux significations et aux valeurs. VoilĂ pourquoi lâacte fondateur de la philosophie est pour Descartes la pratique mĂ©thodique du doute. Il y a dĂ©jĂ quelque temps, Ă©crit-il, que je me suis aperçu que, dĂšs mes premiĂšres annĂ©es, jâavais reçu quantitĂ© de fausses opinions pour vĂ©ritables, et que ce que jâai depuis fondĂ© sur des principes si mal assurĂ©s, ne pouvait ĂȘtre que fort douteux et incertain ; de façon quâil me fallait entreprendre sĂ©rieusement une fois en ma vie de me dĂ©faire de toutes les opinions que jâavais reçues en ma crĂ©ance, et commencer tout de nouveau dĂšs les fondements, si je voulais Ă©tablir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences ». MĂ©ditations mĂ©taphysiques. I. 1641. Quâil sâagisse de Socrate avec lâironie, de Descartes avec le doute ou de Kant avec le projet critique, lâexigence de la pensĂ©e sâactualise toujours comme entreprise dâaffranchissement de ce qui procĂšde en elle dâune autre autoritĂ© que celle de lâesprit pour fonder Ă nouveau frais ce quâelle peut tenir pour vrai. Cela ne signifie pas que le balai de la pensĂ©e soit destructeur par principe comme si dans les croyances humaines, rien ne pouvait ĂȘtre justifiĂ© par des arguments rationnels. Le doute ne prĂ©juge pas de la vĂ©ritĂ© ou de lâerreur de ce qui est mis en doute. Il se peut quâau terme de lâexamen, la vĂ©ritĂ© de lâĂ©noncĂ© rĂ©siste mais alors elle se fonde sur dâautres raisons que celles qui fondent lâopinion. Dâordinaire ce qui fait la force de cette derniĂšre, câest lâhabitude lâhabitus au sens de Bourdieu, le prestige du nombre nous sommes ainsi faits que les opinions partagĂ©es par le plus grand nombre nous semblent vraies, celui de lâautoritĂ© pour lâenfant, lâĂ©lĂšve, le membre dâune Ă©glise, les idĂ©es reçues des parents, des professeurs ou des savants, du pape, de lâimam ou du rabbin ont une valeur de vĂ©ritĂ©. Or ce nâest pas parce quâon a toujours pensĂ© cela que câest vrai, ce nâest pas parce quâune erreur est partagĂ©e par le plus grand nombre quâelle devient une vĂ©ritĂ©, ce nâest pas parce quâ Aristote a dit » que câest vrai. Encore faut-il sâen assurer par lâexamen rationnel au terme duquel la vĂ©ritĂ© sera thĂ©oriquement Ă©tablie ou la faussetĂ© dĂ©masquĂ©e. Il sâensuit quâune vĂ©ritĂ© thĂ©oriquement Ă©tayĂ©e est autre chose quâune vĂ©ritĂ© dâopinion. Distinction subtile Ă©tablissant que ce qui fait le caractĂšre doxique d'une affirmation, ce n'est pas son contenu, qui peut avoir une valeur de vĂ©ritĂ© Cf. ThĂšme de lâopinion droite chez Platon, c'est le rapport que celui qui la formule entretient avec elle. Il est incapable de la fonder rationnellement. LâĂ©tonnement, le doute ne sont pas des fins en soi. Ce sont des dispositions intellectuelles nĂ©cessaires pour sâengager sur le chemin de la connaissance, câest-Ă -dire pour conduire un vĂ©ritable examen. c Esprit dâexamen rĂ©flexivitĂ©. Examen », le mot a souvent Ă©tĂ© prononcĂ© mais il ne suffit pas de dire le mot pour ĂȘtre au clair sur ce quâil dĂ©signe. Comment sây prendre pour conduire un examen digne de ce nom ? Cela exige de procĂ©der Ă une opĂ©ration de rĂ©flexion au sens optique du terme. Comme le rayon lumineux est renvoyĂ© dans une autre direction par la rencontre dâun obstacle, rĂ©flĂ©chir, pour la pensĂ©e, câest faire retour sur elle-mĂȘme, afin de se prendre pour objet et de sâassurer par lĂ la maĂźtrise de ses opĂ©rations. LĂ est lâenjeu de lâeffort rĂ©flexif. Restaurer lâesprit dans le rĂŽle qui devrait ĂȘtre le sien celui dâĂȘtre au fondement de ses actes, dâen ĂȘtre lâauteur et le juge. Commencer tout de nouveau dĂšs les fondements, si je voulais Ă©tablir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » dit Descartes. Par exemple, dĂšs que nous parlons nous faisons surgir du sens mais la raison, en nous, peut-elle consentir Ă ce sens ? Est-il sensĂ© ou absurde, justifiable ou non ? Seule la rĂ©flexion fait accĂ©der Ă lâintelligence de ce que lâon dit vraiment. Il en est de mĂȘme pour les valeurs. DĂšs que nous parlons nous faisons usage de notions supposant des valorisations. Bien/mal, beau/ laid, juste/injuste, utile/inutile etc., la parole commune est saturĂ©e de ces distinctions mais quelle est la valeur des valeurs que nous Ă©nonçons? La raison peut-elle les faire siennes ? Se confirme ici ce qui a dĂ©jĂ Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© la pensĂ©e philosophique nâest pas une pensĂ©e au premier degrĂ©. La pensĂ©e au premier degrĂ© est une absence de pensĂ©e ou un impensĂ© entretenant un rapport imaginaire Ă lui-mĂȘme. Nous croyons ĂȘtre lâauteur, le sujet autonome de nos discours. La rĂ©flexion nous fait prendre conscience que câest une illusion. DĂšs que nous sommes attentifs aux actes de lâesprit pour en interroger le fondement et la lĂ©gitimitĂ©, nous dĂ©couvrons que le sujet du discours non rĂ©flĂ©chi est loin dâĂȘtre le sujet rationnel. Pourquoi ? Parce que celui-ci nâest pas immĂ©diatement en possession de lui-mĂȘme. Bien que la raison soit une facultĂ© naturelle, elle nĂ©cessite des apprentissages pour ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e. Ce nâest pas par hasard que Platon avait fait inscrire au fronton de lâAcadĂ©mie Nul nâentre ici sâil nâest gĂ©omĂštre ». Il signifiait par lĂ quâon ne rompt pas avec le doxique par un coup de baguette magique. Si lâon entend par sujet rationnel, le sujet respectant, dans lâexercice de lâesprit, les principes de la raison Ex principes logiques dâidentitĂ©, de non contradiction, principes rationnels de raison suffisante, il convient dâabord dâĂȘtre soumis Ă la dure Ă©cole des mathĂ©matiques pour faire lâexpĂ©rience quâon ne peut pas dire nâimporte quoi, que la raison a sa nĂ©cessitĂ© et que seul celui qui sây conforme conduit avec rectitude son raisonnement. Les mathĂ©matiques sont une discipline oĂč lâon apprend Ă ne pas tricher avec la raison. Elles nous inclinent Ă nous mĂ©fier de lâimagination, des impressions sensibles et surtout elles nous rĂ©vĂšlent la dimension universelle de la raison. Le thĂ©orĂšme de Pythagore ne dĂ©pend pas de lâarbitraire de son inventeur, ni de contingences historiques ou culturelles. Il a une nĂ©cessitĂ© et une universalitĂ© qui est celle de la raison, facultĂ© commune Ă tous les hommes pour autant quâils ont Ă©tĂ© formĂ©s Ă ses exigences. Câest dire quâon ne peut attendre des hommes une vĂ©ritable rĂ©flexion philosophique en lâabsence dâune formation intellectuelle trĂšs rigoureuse. Dans la prĂ©sentation que Platon fait du chemin de la connaissance dans lâimage de la ligne RĂ©publique, 510 a la sphĂšre de lâintelligible est divisĂ©e en deux parties dont la premiĂšre est la connaissance dianoĂ©tique mathĂ©matiques et ce que nous appelons les sciences aujourdâhui. La dialectique ou philosophie ne vient quâaprĂšs. Le philosophe considĂ©rait quâon ne peut sây consacrer quâĂ lâĂąge de la maturitĂ© et solidement armĂ© sur le plan intellectuel et moral. En lâabsence de ces prĂ©requis, lâexamen philosophique risque de nâĂȘtre quâun jeu stĂ©rile pour des adolescents prompts Ă dĂ©grader la critique philosophique en critique pour la critique, dont lâenjeu nâest plus le souci de la vĂ©ritĂ© mais lâaffirmation de soi-mĂȘme. Il faut, dit-il, donner aux adolescents et aux enfants une Ă©ducation et une culture appropriĂ©es Ă leur jeunesse ; prendre grand soin de leur corps Ă lâĂ©poque oĂč il croĂźt et se forme, afin de le prĂ©parer Ă servir la philosophie, puis quand lâĂąge vient oĂč lâĂąme entre dans sa maturitĂ©, renforcer les exercices qui lui sont propres » RĂ©publique, 498c. Ainsi les Ă©duque-t-on pour assumer les responsabilitĂ©s sociales obligations politiques et militaires qui diffĂ©rent encore le temps de sâadonner Ă la philosophie, car celle-ci suppose non seulement la formation mais aussi lâexpĂ©rience et surtout un esprit libĂ©rĂ© de tout autre prĂ©occupation que celle de la recherche de la vĂ©ritĂ© Cf. La notion dâactivitĂ© libĂ©rale. La pĂ©dagogie platonicienne ne sĂ©pare donc pas la formation intellectuelle de la formation morale car en un sens profond, qui ne nous est plus du tout familier, les vertus intellectuelles sont solidaires de la vertu morale. En effet, ce qui empĂȘche lâesprit de sâexercer selon sa nĂ©cessitĂ© propre, renvoie Ă la domination, en nous, dâune dimension de notre ĂȘtre encline Ă subvertir notre raison. Cette dimension est la dimension sensible. Avant dâĂȘtre un ĂȘtre de raison, nous sommes un ĂȘtre sensible. Nous sommes un corps au sens large et il est bien vrai que celui-ci rend impossible un rapport de transparence au vrai Cf. ThĂšme platonicien du corps tombeau ou prison de lâĂąme. Le rĂ©el est rĂ©fractĂ© sur le mur de nos sens, de notre particularitĂ© empirique avec ses dĂ©terminations sexuelles Ex homme ou femme, sociales Ex prolĂ©taire ou grand bourgeois ; riche ou pauvre, historiques Ex homme antique ou homme moderne, idĂ©ologiques Ex gauche ou droite, modĂ©rĂ© ou extrĂ©miste, religieuses Ex chrĂ©tien ou musulman ou bouddhiste, etc.. Nous avons des dĂ©sirs, des passions, des intĂ©rĂȘts et il suffit dâobserver les hommes pour sâapercevoir quâils utilisent leur esprit au service de la justification et de la satisfaction de ces dĂ©sirs, passions ou intĂ©rĂȘts. Ils raisonnent donc beaucoup mais la logique quâils mettent en Ćuvre est une logique passionnelle. Ils nâutilisent pas leur raison pour examiner si les dĂ©finitions sur lesquelles se fondent leur discours tiennent rationnellement la route, ou si les croyances quâils dĂ©fendent ont une cohĂ©rence et une lĂ©gitimitĂ©. Ils lâutilisent pour prouver une vĂ©ritĂ© posĂ©e extĂ©rieurement Ă la raison par une instance hĂ©tĂ©rogĂšne Ă sa nature dĂ©sir, intĂ©rĂȘt, parti pris confessionnel, situation de classe etc.. La raison est donc aveuglĂ©e et aliĂ©nĂ©e. Elle nâest pas libre pour un exercice autonome car elle est instrumentalisĂ©e. Cette instrumentalisation de la raison, au service de fins ou de principes rĂ©vĂ©lant la toute-puissance de notre part irrationnelle est proprement immorale pour le philosophe. Pour lui, la raison est ce qui fait la dignitĂ© de lâhomme et ce quâil doit honorer pour respecter sa propre humanitĂ©. Mais cela passe par un travail de soi sur soi consistant dans une ascĂšse. Sâaffranchir intĂ©rieurement de ce qui nous maintient prisonnier, libĂ©rer lâĆil de lâĂąme de la prison du corps pour reprendre les mĂ©taphores platoniciennes. Platon parle de purification, de catharsis. OpĂ©ration douloureuse dont il ne cache pas quâelle suppose de bonnes dispositions naturelles. Si nature nâaide pas un peu, dirait Montaigne, il est vain de croire que cette tĂąche soit Ă la portĂ©e des hommes. Socrate sâemployait avec lâironie Ă la rendre possible. En confrontant ses interlocuteurs Ă leurs contradictions, il dĂ©masquait la vĂ©ritĂ© de lâopinion qui consiste Ă confondre le vrai avec ce quâil nous est utile, avantageux ou plaisant de croire tel. Il mettait en Ă©vidence que lâempire de la doxa est lâempire en chacun de nous de ce quâil faut mettre hors-jeu pour commencer Ă comprendre ce que penser veut dire. Mais le sens de lâironie nâest pas Ă©puisĂ© par cette fonction critique. Elle est insĂ©parable de la maĂŻeutique câest-Ă -dire dâune stratĂ©gie dont lâenjeu est de rĂ©vĂ©ler chacun Ă la vĂ©ritĂ© de lui-mĂȘme. Il sâagit de dĂ©couvrir quâon est une Ăąme, que celle-ci est la seule autoritĂ© Ă respecter et que rendue Ă la maĂźtrise dâelle-mĂȘme, elle est le temple de la vĂ©ritĂ©. VoilĂ pourquoi il comparaĂźt son art Ă celui de sa mĂšre PhĂ©narĂšte. Comme elle accouchait les corps en sa qualitĂ© de sage-femme, il est un accoucheur des esprits. Inutile de prĂ©ciser quâon rencontre ici la condition la plus difficile Ă rĂ©aliser. Câest elle qui trace la frontiĂšre entre un authentique esprit philosophique et des esprits trĂšs puissants intellectuellement mais Ă©trangers Ă lâintentionnalitĂ© philosophique. Ces esprits trĂšs puissants, jouissant sur la scĂšne sociale dâun pouvoir redoutable sâappelaient, Ă lâĂ©poque de Socrate, les sophistes. Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos, Thrasymaque, etc. dont les noms sont familiers Ă tout lecteur de lâĆuvre platonicienne sont des grands reprĂ©sentants de la pensĂ©e sophistique. Tous sont Ă©trangers Ă AthĂšnes oĂč ils sâinstallent pĂ©riodiquement pour enseigner en se faisant payer trĂšs cher leurs leçons. Socrate fut accusĂ© dâĂȘtre lâun des leurs, et pourtant, tel que Platon le prĂ©sente dans ses Dialogues, il dramatise lâopposition radicale de la philosophie et de la sophistique. Ce qui nous conduit Ă souligner quâhistoriquement la philosophie Ă©merge dâune double rupture Au VIĂšme siĂšcle av. comme on lâa dĂ©jĂ vu, avec lâĂ©cole de Milet Pythagore, Anaximandre, AnaximĂšne, dâune rupture avec la pensĂ©e mythologique. Au VĂšme siĂšcle av. avec Socrate, dâune rupture avec la pensĂ©e sophistique. 4 PensĂ©e sophistique-pensĂ©e philosophique. Lâenseignement des Sophistes est difficile Ă unifier. Jaeger souligne que tous ont un point commun, tous professaient lâarĂ©tĂȘ la vertu politique, et tous souhaitaient lâinculquer en augmentant les capacitĂ©s intellectuelles par lâexercice â quelle que soit la façon dont celui-ci Ă©tait compris ». Paideia. §3 du L. II. On a dit, prĂ©cise-t-il encore quâils furent les fondateurs de la science Ă©ducative. Ils créÚrent en effet la pĂ©dagogie et, de nos jours encore, la culture intellectuelle suit dans une large mesure les voies quâils ont tracĂ©es » Ibid. En un certain sens, ils sont les fondateurs de lâhumanisme. Câest trĂšs clair dans le rĂ©cit du mythe de PromĂ©thĂ©e que Platon fait prononcer par Protagoras dans le dialogue Ă©ponyme. Protagoras montre que la nature de lâhomme est de produire de la culture grĂące Ă son intelligence technicienne et morale. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper les compĂ©tences polytechniciennes, ce Ă quoi sâemploie le sophiste Hippias dont lâobjectif est sans doute, contre la caricature quâen fait Platon dans Hippias min., dâenseigner les rĂšgles gĂ©nĂ©rales des arts art = savoir-faire. NĂ©cessitĂ© aussi dâexploiter les ressources de la parole car le langage est lâinstrument de la pensĂ©e et la parole, le moyen par lequel les hommes exercent un empire les uns sur les autres. Gorgias, par exemple, raconte que si lâart de son frĂšre mĂ©decin est de faire un diagnostic et de prescrire un traitement, câest son art Ă lui de persuader le patient dâĂ©couter les conseils de celui qui possĂšde la science. Et Ă lâAssemblĂ©e du peuple, si lâexpert militaire ou juridique nâa pas dâĂ©loquence, le dĂ©magogue, expert en art oratoire, aura tĂŽt fait dâemporter les suffrages. LâĂ©ducation sophistique repose donc Ă la fois sur lâaccent mis sur les techniques et sur la parole, les deux attributs de la nature humaine. Platon est dâune extrĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ© avec la paideia Ă©ducation sophistique. Il accuse, dans Le Sophiste, ces maĂźtres dâun nouveau genre dâĂȘtre des faiseurs de prestiges ». Le procĂšs porte sur deux points essentiels. Dâune part sur lâidĂ©e que le sophiste sait parler dâun art mais ne le possĂšde pas, dâautre part sur lâidĂ©e que le logos a une autre vocation que celle que lui assignent les sophistes. Platon leur reproche avant tout dâĂȘtre des faiseurs dâopinion et sous le nom dâĂ©ducation de ne pas se prĂ©occuper dâune authentique Ă©ducation intellectuelle et morale. Le diffĂ©rend apparaĂźt clairement dans lâopposition Protagoras â Socrate. Mais tous les dialogues platoniciens mettent en scĂšne lâaltĂ©ritĂ© de deux maniĂšres de concevoir lâhomme et sa vocation. LĂ est le point essentiel oĂč lâesprit philosophique sâaffirme dans son originalitĂ© au risque dâĂȘtre incompris de la plupart. Car aujourdâhui, comme hier, les hommes se sentent plus chez eux en compagnie de Protagoras que de Socrate et dans le conflit opposant lâun Ă lâautre, câest Protagoras qui a gagnĂ©. Quâenseignait donc ce dernier pour ĂȘtre si typique de notre modernitĂ© ? Il soutenait que lâhomme est la mesure de toutes choses ». Si cette affirmation voulait dire quâil nây a pas dâautre autoritĂ© que la raison humaine pour dĂ©cider ce quâil en est du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de lâinjuste, ce nâest pas Socrate qui sâen plaindrait. Sa mission nâest-elle pas de la restaurer dans ses droits Ă la critique et Ă lâĂ©tablissement de la vĂ©ritĂ© ? Mais voilĂ , lorsque Socrate parle de la raison, il pense Ă tout autre chose que ce quâentend par lĂ le sophiste. Pour ce dernier, la raison est une facultĂ© subordonnĂ©e. Elle nâest quâun simple moyen dâargumentation et de raisonnement au service des passions et des intĂ©rĂȘts des uns et des autres. Pour Socrate, bien loin de nâĂȘtre que ce vulgaire outil, elle est une instance sui generis, une facultĂ© des principes et des fins dont lâhomme doit respecter les exigences pour se porter Ă la hauteur de la dignitĂ© quâelle lui confĂšre. Lâhomme, câest lâĂąme », dit-il, pour signifier que la raison dĂ©finit une dimension de supĂ©rioritĂ© ontologique irrĂ©ductible Ă la dimension empirique dans laquelle Protagoras prĂ©tend circonscrire lâhumaine nature. Lâalternative est ici sans Ă©quivoque Pour lâun, lâhomme nâest quâune rĂ©alitĂ© phĂ©nomĂ©nale parmi dâautres, rĂ©gie par lâensemble des lois qui le dĂ©terminent, lâexercice de la raison nâĂ©chappant pas Ă cette dĂ©termination ; pour lâautre, il a une spĂ©cificitĂ© mĂ©taphysique et morale dont la raison est prĂ©cisĂ©ment le signe. Dans un cas, il nâest rien dâautre quâun ĂȘtre rĂ©duit Ă sa particularitĂ© empirique, celle de son sexe, de son tempĂ©rament, de sa classe sociale, de sa situation historique, dans lâautre il est dotĂ© de la capacitĂ© de transcender ces limites pour ouvrir un horizon dâuniversalitĂ©. Car si la particularitĂ© empirique est indĂ©passable chacun est condamnĂ© Ă voir le monde Ă travers son prisme, et la raison nâayant pas dâautonomie possible, il faut renoncer Ă lâidĂ©e dâune vĂ©ritĂ© universelle et Ă©ternelle. Il y a autant de maniĂšres de se reprĂ©senter les choses que de sujets parlants, autant de rĂ©els que de sujets qui sâen emparent. A chacun sa vĂ©ritĂ©. Le conflit des opinions est un destin. Comme le dit le proverbe Des goĂ»ts et des couleurs, on ne discute pas ». Protagoras dĂ©fend donc lâoption subjectiviste et relativiste en matiĂšre de vĂ©ritĂ©. Tout au plus est-il permis de dire que certaines idĂ©es sont plus utiles que dâautres par rapport aux besoins ou aux intĂ©rĂȘts majoritaires. Sâil en est ainsi, la tĂąche des hommes nâest pas de chercher la vĂ©ritĂ©, de sâappliquer Ă discriminer le vrai du faux, elle est dâapprendre Ă rendre socialement puissantes les idĂ©es les plus utiles et cela passe par la maĂźtrise de la parole. Les sophistes enseignent donc la rhĂ©torique ou art dâargumenter en Ă©tant capables de soutenir avec autant dâhabiletĂ© une idĂ©e et le contraire de cette idĂ©e. Ils enseignent, au fond, un art de la parole dĂ©solidarisĂ© du souci de la vĂ©ritĂ© et de la valeur câest-Ă -dire une technique de pouvoir. Que la pratique sophistique du discours soit antinomique de la pratique socratique, les analyses prĂ©cĂ©dentes lâont amplement Ă©tabli. Mais alors la question est de savoir si lâon peut suivre le philosophe dans ses prĂ©supposĂ©s. Car il est bien vrai que les opinions sont souveraines parmi les hommes et que sâils parviennent parfois Ă surmonter leurs diffĂ©rends, câest moins par la vertu de lâexamen rationnel que par la soumission Ă la rĂšgle politique de la dĂ©mocratie. Celle-ci stipule en effet que lĂ oĂč les membres dâun groupe ne peuvent pas sâentendre, le conflit est tranchĂ© par le principe majoritaire. Bienheureuse institution permettant de surmonter la violence des affrontements humains par une autre voie que le recours aux armes ! Mais enfin une majoritĂ© nâest jamais quâune force et ce nest pas parce quâon est le plus fort quâon a nĂ©cessairement raison. En ce sens, la dĂ©mocratie ne fait pas sortir du rapport de force. Or quâon le veuille ou non jamais la raison ne pourra consentir Ă sâincliner sur lâautel la force. Parce quâelle est lâinstance nous permettant de nous reprĂ©senter le droit, elle aspire Ă en assurer le rĂšgne sans autre recours que ses seules ressources. VoilĂ pourquoi le philosophe est lâhomme qui en appelle Ă la raison de lâautre pour rompre avec la violence idĂ©ologique et politique. Il rĂȘve dâune citĂ© oĂč le dialogue, conduit dans le silence des passions et lâascĂšse des intĂ©rĂȘts et des dĂ©sirs, pourrait unir les hommes dans un monde commun. Car, Ă bien y rĂ©flĂ©chir, ce monde commun nâest pas un fantasme de songe-creux. La mathĂ©matique atteste sans rĂ©serve de sa possibilitĂ© dans la mesure oĂč sa vĂ©ritĂ© a une universalitĂ© et une Ă©ternitĂ© nâayant pas dâautre fondement que la nĂ©cessitĂ© rationnelle. Pourquoi la raison qui est lâinstrument de mesure commun en mathĂ©matique, ne pourrait-elle pas lâĂȘtre pour dâautres objets que les nombres ou les figures gĂ©omĂ©triques ? Certes le trĂšs rĂ©aliste Hobbes reconnaissait que si la vĂ©ritĂ© mathĂ©matique Ă©tait, comme la question du juste et de l'injuste, l'otage des passions et des intĂ©rĂȘts humains, il y a fort Ă parier que les hommes la discuteraient avec une violence et une partialitĂ© comparables Ă celles dont ils font preuve dâordinaire. Et il a raison. Si lâon sâen tient au fait, les Protagoras, les Hobbes voient juste. La lutte des intĂ©rĂȘts, la violence des oppositions, lâinstrumentalisation idĂ©ologique du raisonnement sont bien, aujourdâhui comme hier, une donnĂ©e observable. Câest absolument incontestable et pourtant cela ne signifie pas quâil faille cautionner le fait comme si ce qui est devait ĂȘtre la mesure de ce qui peut ĂȘtre et mĂȘme de ce qui doit ĂȘtre. Car rien nâautorise Ă rĂ©duire lâhomme Ă sa dimension empirique et Ă nier quâil a la possibilitĂ© de transcender les limites dans lesquelles les sophistes se plaisent Ă lâenfermer. Seule la mauvaise foi peut nous conduire Ă nier que la raison est, en nous, un pouvoir de transcendance. Comment, si ce nâĂ©tait pas le cas, aurait-on pu Ă©crire une DĂ©claration universelle des droits de lâhomme ? Nâa-t-il pas fallu pour cela rompre avec la clĂŽture ethnocentrique que tous les idolĂątres de la dĂ©termination ethnique de lâhumaine condition proclament indĂ©passable en fait et illĂ©gitime en droit? Câest le pouvoir de transcendance de la raison et lui seul qui permet Ă chaque membre dâune culture de sâarracher Ă son enracinement culturel, dâinitier un rapport critique aux valeurs et aux significations particuliĂšres Ă son groupe, dâen dĂ©noncer lâunilatĂ©ralitĂ© et de promouvoir lâidĂ©e de valeurs et de significations universalisables en droit. Le rationalisme des LumiĂšres est nĂ© sur le sol europĂ©en mais il nâest pas lâexpression de la particularitĂ© de la culture occidentale, il est lâhonneur du genre humain. De mĂȘme, câest ce pouvoir de transcendance qui permet Ă chacun, pour peu quâil en fasse lâeffort, de prendre conscience de son dĂ©sir, de sâaffranchir de sa loi afin de ne plus confondre ce qui est vrai selon la norme de lâesprit avec ce qui semble tel selon la norme des affects. Ou bien encore, câest ce pouvoir qui est en jeu dans la possibilitĂ© de tous de sâĂ©lever au-dessus de la partialitĂ© de leurs intĂ©rĂȘts, dâen dĂ©terminer les justes requĂȘtes et de se soucier de leur conciliation afin que lâintĂ©rĂȘt des uns ne soit pas le tombeau de celui des autres. Câest dire que Socrate nous demande dâenvisager la raison comme lâĂ©quivalent pour les questions de sens et valeur de lâinstrument de mesure mathĂ©matique pour les quantitĂ©s. Il nous demande de faire amitiĂ© par lâesprit et de subvertir par lĂ notre rapport Ă la vĂ©ritĂ© et aux autres. Il ne sâagit plus de se croire en possession du vrai mais de le chercher ensemble, sa pierre de touche nâĂ©tant pas les vaines prĂ©tentions des uns et des autres mais seulement lâaccord des esprits. 5 La sagesse philosophique comme alternative Ă la violence. La mission socratique se rĂ©vĂšle ici comme mission de rĂ©conciliation des hommes au sein dâune communautĂ© raisonnable. Mission utopique, dit le pessimiste. La nature passionnelle est bien plus puissante en lâhomme que sa nature rationnelle. Pire, lâidĂ©e dâune transcendance possible de lâesprit est une illusion idĂ©aliste. On nâa pas attendu les philosophies du soupçon Marx, Nietzsche, Freud pour instruire le procĂšs de la raison conçue comme instance universelle et transcendante. CâĂ©tait dĂ©jĂ le fonds de commerce de la sophistique. La crise de la raison est aussi vieille que lâĂ©mergence de son magistĂšre. On a lâimpression que la raison nâa jamais vraiment pu imposer son autoritĂ© et quâelle nâa dĂ©stabilisĂ© celle de la tradition ou de Dieu que pour livrer les sociĂ©tĂ©s Ă lâanarchie rationaliste. Le moindre forum de discussion en tĂ©moigne de maniĂšre criante. Les capacitĂ©s dâargumentation et de dĂ©monstration de lâesprit sont mobilisĂ©es Ă tout va et les idĂ©es les plus folles ne manquent pas de dĂ©fenseurs talentueux, trĂšs habiles dans lâart de leur confĂ©rer une vraisemblance. Mission difficile, rĂ©pond le philosophe, mais non mission impossible. Car ce qui rend possible un vrai dialogue entre les hommes nâest pas diffĂ©rent de ce qui rend possible lâactivitĂ© pensante. Une formation intellectuelle rigoureuse certes, dĂ©pendant de la responsabilitĂ© des sociĂ©tĂ©s, mais surtout une conversion intellectuelle et morale qui est Ă la portĂ©e de tout ĂȘtre douĂ© dâun esprit. Seules deux conditions sont requises Dâune part, un sens du problĂšme, de lâambiguĂŻtĂ© des choses et de leur complexitĂ©. Dâautre part, la conviction quâon ne peut pas avoir raison tout seul, que ce qui est fondĂ© en raison, doit ĂȘtre, en droit, reconnaissable par nâimporte quel autre ĂȘtre de raison. Aux antipodes de lâhomme qui est prisonnier du doxique, le penseur est donc lâhomme qui se met Ă distance dâun contenu de pensĂ©e, lâexamine en se faisant Ă lui-mĂȘme les objections que les autres pourraient lui faire sâils Ă©taient prĂ©sents. La pensĂ©e procĂšde, Ă lâinstar de la discussion avec lâautre, par questions et rĂ©ponses dans une dĂ©marche dont lâenjeu est de surmonter une difficultĂ© thĂ©orique. Car sâil nây avait pas de problĂšme initial, si tout Ă©tait clair Ă lâesprit humain au point dâĂȘtre tous dâaccord, il nây aurait pas besoin de faire la lumiĂšre. La pensĂ©e est donc dialogique par essence parce qu'elle est aux prises avec le problĂ©matique. VoilĂ pourquoi Platon dit que la pensĂ©e est un dialogue de lâĂąme avec elle-mĂȘme. Cf. La pensĂ©e est un discours que lâĂąme se tient Ă elle-mĂȘme sur les objets quâelle examineâŠIl me paraĂźt que lâĂąme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que sâentretenir avec elle-mĂȘme, interrogeant et rĂ©pondant, affirmant et niant », ThéétĂšte, 190a. Hannah Arendt, de mĂȘme, pointe ce lien de la pensĂ©e et du dialogue en soulignant que pour penser il faut ĂȘtre plusieurs en un. Toute pensĂ©e, Ă proprement parler, sâĂ©labore dans la solitude, est un dialogue entre moi et moi-mĂȘme, mais ce dialogue de deux-en-un ne perd pas le contact avec le monde de mes semblables ceux-ci sont en effet reprĂ©sentĂ©s dans le moi avec lequel je mĂšne le dialogue de la pensĂ©e » Le systĂšme totalitaire, III, Points Seuil, 1972, p. 228. Et Kant rappelle que lâĂ©thique de la pensĂ©e implique trois maximes directrices 1 Penser par soi-mĂȘme ou maxime de la pensĂ©e sans prĂ©jugĂ©s, 2 Penser en se mettant Ă la place de tout autre ou maxime de la pensĂ©e Ă©largie, 3 Penser en Ă©tant toujours en accord avec soi-mĂȘme ou maxime de la pensĂ©e consĂ©quente. La deuxiĂšme maxime est particuliĂšrement significative. LâĂ©troitesse dâesprit est le propre de celui qui ne parvient pas Ă se libĂ©rer de ses ĆillĂšres parce quâil est incapable de sâouvrir Ă lâaltĂ©ritĂ©. LâunilatĂ©ralitĂ© de son regard, la dĂ©terminitĂ© de sa situation le condamnent Ă sâenfermer dans une sorte de mythologie personnelle ou communautaire. Il manque de la plus Ă©lĂ©mentaire sagesse consistant Ă sâassurer de la rectitude de son propre entendement, par le dĂ©tour de lâentendement des autres ou le point de vue de lâuniversel. Il sâensuit que la mĂ©thode de la pensĂ©e est la dialectique ou lâart du dialogue Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© dâun procĂ©dĂ© de rĂ©flexion. Une question appelle des rĂ©ponses que lâexamen conduit Ă problĂ©matiser patiemment jusquâau point oĂč, ayant sĂ©parĂ© le bon grain de lâivraie, on peut sâentendre sur des vĂ©ritĂ©s communes. Moment toujours Ă©mouvant que celui oĂč lâon fait lâexpĂ©rience de la transcendance de la vĂ©ritĂ© ou de la raison. Elle est la rĂ©vĂ©lation dâun nous » en lieu et place de toi » et de moi ». St Augustin a dit cela merveilleusement Quand nous voyons l'un et l'autre que ce que tu dis est vrai, quand nous voyons l'un et l'autre que ce que je dis est vrai, oĂč le voyons-nous, je te le demande ? AssurĂ©ment ce n'est pas en toi que je le vois, ce n'est pas en moi que tu le vois. Nous le voyons l'un et l'autre dans l'immuable vĂ©ritĂ© qui est au-dessus de nos intelligences ». Les Confessions, XII, XXV, 35, PlĂ©iade I, p. 1079. Les rĂ©ussites de la rĂ©flexivitĂ© ou rĂ©gression dialectique ne doivent pas nĂ©anmoins faire oublier ses demi-Ă©checs. Il arrive en effet quâelle dĂ©bouche sur des apories, câest-Ă -dire sur des impasses thĂ©oriques comme on le voit dans les dialogues de Platon que nous appelons socratiques ». Plus fidĂšles Ă la pratique du MaĂźtre que dâautres, ils sont des dialogues aporĂ©tiques. Loin dâaboutir Ă une conclusion positive, ils confrontent lâesprit Ă sa propre impuissance. Ce qui n'est pas une moindre connaissance qu'une autre car, comme l'Ă©crit Descartes, si l'on dĂ©couvre que la connaissance cherchĂ©e dĂ©passe entiĂšrement la portĂ©e de l'esprit humain, [on] ne s'en jugera pas pour autant plus ignorant, puisque ce n'est pas une moindre science de savoir cela que de savoir quoi que ce soit d'autre». RĂšgle VIII des RĂšgles pour la direction de l'esprit. Reste que par la dimension aporĂ©tique de son discours, Socrate est plus modeste que son disciple Platon. Pour celui-ci, la dialectique est la mĂ©thode de la science, le moyen de sâĂ©lever des connaissances sensibles ou doxiques aux IdĂ©es ou intelligibles purs que lâĂąme peut saisir intuitivement au terme de lâascension dialectique. LâexpĂ©rience invite Ă moins de prĂ©tentions. Si la rĂ©flexion permet de rompre avec le dogmatisme de lâopinion, ce nâest pas pour lui substituer un dogmatisme philosophique. Certes les grandes philosophies dĂ©ploient des possibles de la raison dans de majestueux Ă©difices donnant la mesure de la puissance intellectuelle de certains esprits. Mais chaque penseur recommence toujours lâaventure mĂȘme sâil est vrai quâaucun ne part de zĂ©ro et ne peut se permettre de penser Ă la suite de tel monument de la philosophie comme on le faisait avant. Reste quâil nây pas de savoir absolu en philosophie. Ce qui nâest pas une maniĂšre de cautionner le scepticisme. Le philosophe est comme le savant. Câest un douteur mais comme Claude Bernard disait que le savant doute de tout sauf de la science, le philosophe doute de tout sauf des vertus de lâexamen pour Ă©clairer le jugement et fonder des vĂ©ritĂ©s raisonnables. En disant vĂ©ritĂ© raisonnable, on ne dit pas vĂ©ritĂ© indiscutable. Il faudrait pour cela que la dĂ©marche rationnelle pĂ»t se fonder elle-mĂȘme ou que le tĂ©moignage que la raison se rend Ă elle-mĂȘme au terme de lâexamen fĂ»t lâaffaire de tous. Or la dĂ©marche philosophique pas plus dâailleurs que la mĂ©thode scientifique ne peut se prĂ©valoir dâune telle assurance. Lâune et lâautre reposent sur un irrationnel de fondement consistant Ă faire de la raison la seule mesure en matiĂšre de vĂ©ritĂ©. Mais impossible de dĂ©montrer la validitĂ© de ce prĂ©supposĂ© car toute dĂ©monstration suppose ce qui est Ă dĂ©montrer Ă savoir que le respect des principes logiques et des principes rationnels est nĂ©cessaire pour assurer la rectitude de la pensĂ©e. En tĂ©moigne lâimpuissance du philosophe rationaliste Ă convaincre, celui qui disqualifie la raison dans cette prĂ©tention et considĂšre que seule la soumission Ă une autoritĂ© divine est une voie de salut. En ce sens, lâantinomie des voies ouvertes par AthĂšnes et par JĂ©rusalem est irrĂ©ductible. Et la pluralitĂ© humaine en suppose bien dâautres, portant sur les questions de sens, de justice, de bien et de mal, dâutile et de nuisible. Pour Ă©lucider une question, plusieurs principes peuvent parfois ĂȘtre formulĂ©s, chacun ayant sa lĂ©gitimitĂ©. Par exemple, on peut soutenir quâune rĂ©partition sociale juste des honneurs, des pouvoirs et des richesses est une rĂ©partition Ă©galitaire, ce principe Ă©tant fondĂ© sur lâidĂ©e que les hommes sont Ă©gaux en dignitĂ©, quels que soient leurs talents et leur mĂ©rite. Mais on peut aussi considĂ©rer quâil est injuste de traiter Ă©galement des ĂȘtres inĂ©gaux en talents et en mĂ©rite et donc quâil revient de rendre Ă chacun ce quâil mĂ©rite. Est-il possible de surmonter le diffĂ©rend entre les partisans dâun ordre social Ă©galitariste et un autre hiĂ©rarchique ? Rationnellement non. On est en prĂ©sence ici dâun indĂ©cidable rationnellement parlant puisquâon ne peut pas dĂ©montrer quâun principe est plus rationnel que lâautre. Les deux ont leur lĂ©gitimitĂ© du point de vue de lâesprit. Mais raisonnablement, on peut comprendre que cette Ă©gale lĂ©gitimitĂ© fonde lâobligation de faire droit Ă leurs requĂȘtes en sâefforçant de les concilier. Le principe Ă©galitaire exige de confĂ©rer Ă tous les membres dâun groupe les mĂȘmes droits et devoirs de base. Tous les citoyens sont Ă©gaux en droits. Une voix vaut une voix. Chacun peut Ă©galement Ă tout autre prĂ©tendre au respect des libertĂ©s fondamentales expression, pensĂ©e, circulation, protection etc. Le principe hiĂ©rarchique invite Ă ne pas se limiter Ă une dĂ©finition abstraite de lâĂȘtre humain et Ă tenir compte des caractĂ©ristiques concrĂštes des uns et des autres. Dans toutes les activitĂ©s certains sont plus efficaces socialement que dâautres, plus talentueux. Ce serait leur faire injustice que de ne pas proportionner les biens aux talents et aux mĂ©rites pour autant que ceux-ci ne dĂ©pendent que de la responsabilitĂ© des personnes, ce qui suppose de se prĂ©occuper de rĂ©aliser socialement lâĂ©galitĂ© des chances. On pourrait dĂ©velopper le mĂȘme raisonnement Ă propos de lâantinomie du principe de libertĂ© et du principe dâĂ©galitĂ© ou bien Ă propos du dĂ©bat actuel sur lâouverture du mariage aux homosexuels. Ces exemples suggĂšrent que les problĂšmes sont complexes et que la faute consiste toujours Ă sâenfermer dans une position unilatĂ©rale. Ce qui est le risque de celui qui sâen tient Ă un usage strictement formel de la raison. DĂšs lors que celle-ci ne veut pas sortir de lâĂ©vidence du principe quâelle a posĂ© et de la rigueur des dĂ©ductions rationnelles qui en dĂ©coulent, elle devient sourde Ă lâambiguĂŻtĂ© des choses, aux contraintes du rĂ©el, Ă la pluralitĂ© humaine, et plus fondamentalement Ă lâexigence morale. Il sâensuit que le souci dâĂȘtre rationnel ne doit pas nous dispenser de nous efforcer dâĂȘtre raisonnables. Et il faut sans doute suivre Gabriel Marcel lorsquâil dit que L'homme raisonnable est peut-ĂȘtre avant tout et fondamentalement celui qui perçoit les limites de la raison ». Le dĂ©clin de la sagesse, page 89. VoilĂ pourquoi la sagesse philosophique exige le sens de la mesure et le refus de toute forme dâintĂ©grisme rationnel. Elle implique une sorte de rĂ©vĂ©lation, qui est davantage assignation Ă une tĂąche critique quâĂ des certitudes dogmatiques, fussent-elles fondĂ©es rationnellement. En ce sens Russell rend justice Ă la philosophie lorsquâil dit que sa valeur rĂ©side dans son incertitude mĂȘme. Incertitude, rappelons-le, sur ses rĂ©sultats, non sur sa fonction libĂ©ratrice de la bassesse et de la bĂȘtise et sur sa capacitĂ© de faire exister une communautĂ© dâĂȘtres raisonnables unis par la conscience de la sagesse qui leur manque et par la volontĂ© dâen honorer ensemble les exigences. B La sagesse comme idĂ©al pratique. Si cette partie faisait lâobjet dâun approfondissement comparable Ă celui de la partie prĂ©cĂ©dente, cette prĂ©sentation de la nature de lâintentionnalitĂ© philosophique risquerait dâĂȘtre indigeste. Je me contenterai donc de quelques remarques succinctes. On a compris que le philosophe est lâhomme se sentant tenu dâhonorer les exigences de lâesprit en tant quâil est pour lui le fondement de la dignitĂ© humaine et une instance universelle et transcendante Ă la hauteur de laquelle il doit se porter. Or vivre, ce nâest pas seulement penser, connaĂźtre, juger, câest aussi agir, se projeter dâune certaine maniĂšre dans le monde, tendre vers des fins dont nous espĂ©rons le bonheur. Il sâensuit que, comme la sagesse thĂ©orique est la vertu de lâesprit dans ses opĂ©rations intellectuelles et ses prĂ©tentions Ă la connaissance, la sagesse pratique est celle de lâhomme dans la conduite de sa vie. Dans les deux cas, il sâagit de se souvenir que nous sommes un ĂȘtre douĂ© de raison et que cela fonde des obligations. La morale consiste Ă se savoir esprit et, Ă ce titre, obligĂ© absolument car noblesse oblige » affirme Alain, dans la SeptiĂšme lettre sur Kant. Dans ses exhortations Ă ses concitoyens, Socrate ne dit pas autre chose. Avoir le souci de son Ăąme, voilĂ ce qui devrait ĂȘtre la grande affaire de lâhomme. Je nâai pas en effet dâautre but, en allant par les rues que de vous persuader, jeunes et vieux, quâil ne faut pas donner le pas au corps et aux richesses et sâen occuper avec autant dâardeur que du perfectionnement de son Ăąme. Je vous rĂ©pĂšte que ce ne sont pas les richesses qui donnent la vertu, mais que câest de la vertu que proviennent les richesses et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit Ă lâEtat » Apologie de Socrate, 30b. Il ne faut pas dĂ©chiffrer ce propos comme une invitation Ă lâascĂ©tisme. Les besoins de notre nature animale ont leur lĂ©gitimitĂ©, lâaisance matĂ©rielle aussi mais ils ne doivent pas constituer lâhorizon de la vie au point de leur sacrifier les exigences spirituelles et morales et de compromettre les biens supĂ©rieurs de lâexistence humaine que sont la libertĂ©, le bonheur et la moralitĂ©. Le propos socratique nâa donc pas dâautre vocation que dâinciter chacun Ă mettre de lâordre dans son ĂȘtre et son action afin de dessiner en soi et hors de soi le visage de lâhumaine nature dans ce qui fait sa supĂ©rioritĂ© ontologique. Pas plus quâil nâest nĂ© pour se complaire dans lâignorance et la minoritĂ© intellectuelle, lâhomme nâest fait pour subir une autre loi que celle quâil peut se donner par sa raison. Il lui faut donc sâaffranchir de la servitude de sa nature sensible, pour libĂ©rer conjointement lâexercice de son esprit des aveuglements passionnels et sa façon dâĂȘtre de lâĂ©cueil de la violence et de lâindignitĂ©. Par lĂ on comprend que la sagesse thĂ©orique et la sagesse pratique sont interdĂ©pendantes. Lâune ne va pas sans lâautre, lâerreur et la faute procĂ©dant toujours de la subversion de lâexigence raisonnable par une autre loi que la sienne quâil sâagisse de celle des dĂ©sirs, des passions ou des intĂ©rĂȘts. Ce souci de donner une expression raisonnable Ă la part irrationnelle de sa nature est le propre de lâamoureux de la sagesse. Il expĂ©rimente que câest lĂ sa tĂąche. Les Grecs disent son ergon. Pour eux, chaque ĂȘtre de la nature a une fonction quâil est le seul Ă pouvoir remplir et ils appellent vertueux celui qui lâaccomplit dans son excellence. Ainsi comme la vertu de lâĆil est de bien voir, la vertu de lâhomme est de dĂ©ployer sa facultĂ© raisonnable dans son excellence sous la forme des vertus intellectuelles et des vertus morales. Les unes et les autres supposent le courage de sauver dans toutes les occurrences de la vie les valeurs de lâesprit la vĂ©ritĂ© sur le plan thĂ©orique, le meilleur et le juste sur le plan pratique. Et il est aussi difficile de se conduire avec le sens de la justice, quâil lâest de penser avec justesse. Car nul nâest immĂ©diatement enclin Ă mettre un point dâarrĂȘt Ă lâexpansion de sa propre existence pour reconnaĂźtre lâĂ©gal droit des autres Ă exister. Nul, non plus, ne comprend spontanĂ©ment que livrĂ© Ă son dynamisme aveugle, le dĂ©sir ignore la loi du rĂ©el, veut tout soumettre Ă son caprice et condamne plus sĂ»rement au malheur quâau bonheur. La rĂ©flexion, seule, libĂšre de cette folie » et rend possible une vie bonne et heureuse Bonne, câest-Ă -dire soucieuse de ne pas avoir Ă rougir dâelle-mĂȘme. La morale est dâabord un rapport Ă soi avant dâĂȘtre un rapport aux autres. Il sâagit de vivre en bonne compagnie avec soi-mĂȘme, dâĂȘtre en accord avec le juge intĂ©rieur, celui qui incarne le point de vue de lâuniversel et qui toujours demande peux-tu universaliser le principe de ton action ? », peux-tu vouloir que tous les hommes agissent comme tu le fais ? ». On reconnaĂźt lĂ , lâimpĂ©ratif catĂ©gorique tel que Kant lâĂ©nonce mais le philosophe de Koenisberg ne fait quâexpliciter lâexpĂ©rience commune. Celle-ci est celle dâun ĂȘtre ayant Ă vivre avec le tĂ©moin intĂ©rieur que chacun porte en soi. Peu importe la maniĂšre dont on thĂ©orise cette dualitĂ©, dualisme du sensible et de lâintelligible selon Platon ou Descartes, dualisme de la nature et de la libertĂ©, du phĂ©nomĂ©nal et du noumĂ©nal selon Kant, lâessentiel est de comprendre quâon ne peut pas vivre en paix dans la contradiction intĂ©rieure et le mĂ©pris de soi-mĂȘme. VoilĂ pourquoi, Hannah Arendt lie toujours le prĂ©cepte socratique Commettre lâinjustice est pire que la subir, et jâaimerais mieux quant Ă moi la subir que la commettre » Gorgias, 469c Ă cette autre affirmation Mieux vaudrait me servir dâune lyre dissonante et mal accordĂ©e, diriger un chĆur mal rĂ©glĂ©, ou me trouver en dĂ©saccord ou en opposition avec tout le monde, que lâĂȘtre avec moi-mĂȘme, Ă©tant un et de me contredire » Gorgias, 482bc. Si un monde de scĂ©lĂ©rats est une offense Ă lâhumanitĂ© câest donc dâabord parce que nul ĂȘtre raisonnable ne veut ĂȘtre en guerre, pas plus avec lui-mĂȘme quâavec les autres, lâimportant Ă©tant dâĂȘtre bien convaincu que câest la paix morale qui conditionne la paix sociale et non lâinverse. Personne en effet nâa rien Ă craindre de lâhomme sâefforçant dâĂȘtre sage car, ainsi que lâaffirme Socrate, câest de la vertu que proviennent les richesses et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit Ă lâEtat ». Heureuse, câest-Ă -dire soucieuse dâaccorder son dĂ©sir et le rĂ©el. Le bonheur dâexister ne va pas sans tempĂ©rance. Celui qui ne sait pas assagir son dĂ©sir en lâaffranchissant des dĂ©lires de lâimagination et de sa tendance Ă sâillimiter, celui qui ne sait pas lâorienter dans le sens de ce qui rĂ©jouit plutĂŽt que de ce qui attriste livre son existence aux affres de lâinsatisfaction permanente, rançon de la dĂ©mesure et du manque de luciditĂ©. Il est donc juste de dire, et lâexpĂ©rience philosophique en tĂ©moigne chaque jour en la personne du philosophe, que la sagesse est la mĂ©thode de la vie bonne et heureuse. Mais la conclusion doit rappeler le message de lâintroduction. Le philosophe nâest pas le sage. Il nâappartient pas aux hommes de jouir de la plĂ©nitude et de la fĂ©licitĂ© des dieux, seulement de tendre vers elles. - - - NB Dans son souci dâĂ©lucidation des questions quâil affronte, le philosophe utilise ou crĂ©e des concepts quâil emploie dans un sens Ă©purĂ© des confusions de la langue commune. Il importe de sâapproprier avec rigueur les concepts philosophiques. Cette prĂ©sentation de la philosophie suppose la maĂźtrise des concepts suivants - Opinion ou doxa. - IdĂ©ologie â science â philosophie. - ActivitĂ© libĂ©rale â activitĂ© utilitaire. - Logos â mythe. - PensĂ©e sophistique â pensĂ©e philosophique. - Rationnel â raisonnable. - Dogmatisme â scepticisme â rationalisme critique. - Vertu. NB Ces concepts font l'objet d'analyses sur ce blog. Il suffit d'utiliser l'index pour les retrouver. 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IntriguĂ© par la citation de Feynman âScience is the belief in the ignorance of expertsâ, jâai dĂ©couvert quâil lâa prononcĂ©e en 1966 dans un discours intitulĂ© âWhat Is Scienceâ au congrĂšs de la National Science Teachers Association [1], que je nâai pas trouvĂ© en français. Je vous offre donc ma traduction de ce texte comme Conte de NoĂ«l scientifique. A part le machisme courant Ă lâĂ©poque, il pourrait toujours susciter ou rĂ©veiller les vocations de profs de science. Mais surtout, il partage une vision de la science qui nâa pas pris une ride. Les titres de paragraphes sont de moi et les phrases en gras sont celles que jâai particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©es. Bonne lecture, Bonnes FĂȘtes Ă tous, et Ă lâannĂ©e prochaine! Introduction Je remercie M. DeRose de mâavoir invitĂ© parmi vous, enseignants de sciences. Je suis aussi un enseignant de sciences. Je nâai dâexpĂ©rience que dans lâenseignement de la physique Ă lâuniversitĂ©, et le rĂ©sultat de cette expĂ©rience est que je sais que je ne sais pas enseigner. Je suis sur que vous aussi â vĂ©ritables enseignants travaillant au plus bas niveau de cette hiĂ©rarchie dâenseignants, formateurs dâenseignants, experts en programmes scolaires â vous aussi jâen suis sur ne savez pas comment faire, sinon vous ne vous fatigueriez pas Ă venir Ă ce congrĂšs. Je nâai pas choisi le sujet âQuâest-ce que la scienceâ. Le sujet est de M. DeRose. Mais je voudrais dire que je crois que âQuâest-ce que la scienceâ nâest pas du tout Ă©quivalent Ă âComment enseigner la scienceâ, et jâattire votre attention lĂ dessus pour deux raisons. La premiĂšre est que la maniĂšre dont je me prĂ©pare Ă donner ce discours pourrait donner lâimpression que jâessaie de vous dire comment enseigner la science. Ce nâest absolument pas le cas, parce que je ne sais rien Ă propos des jeunes enfants. Jâen ai un, donc je sais que je ne sais pas. Lâautre est que je crois que la plupart dâentre vous parce quâil y a tant de prĂ©sentations, tant dâarticles et tant dâexperts du domaine ont une sorte de sentiment de manque de confiance en soi. Dâune certaine façon on vous donne toujours des cours sur pourquoi les choses ne vont pas bien et comment vous devriez apprendre Ă enseigner mieux. Je ne vais pas vous rĂ©primander sur le mauvais travail que vous faites et vous indiquer comment vous pouvez vous amĂ©liorer. Ce nâest pas mon intention. En fait, nous avons de trĂšs bons Ă©tudiants qui arrivent Ă Caltech, et nous trouvons quâils sont de mieux en mieux annĂ©e aprĂšs annĂ©e. De quoi ça vient, je nâen sais rien. Je me demande si vous le savez. Je ne veux pas interfĂ©rer avec ce systĂšme il est trĂšs bon. Il y a juste deux jours nous avions une confĂ©rence dans laquelle nous avons dĂ©cidĂ© que nous nâavions plus besoin de donner un cours de mĂ©canique quantique Ă©lĂ©mentaire au niveau master âgraduate schoolâ. Quand jâĂ©tais Ă©tudiant, il nây avait pas de cours de mĂ©canique quantique tout court Ă ce niveau, câĂ©tait un sujet considĂ©rĂ© comme trop difficile. Quand jâai commencĂ© Ă donner un tel cours, nous en avons eu un. Maintenant nous lâenseignons au niveau bachelor âundergraduateâ Et nous dĂ©couvrons actuellement que nous nâavons plus besoin de le donner aux graduĂ©s venant dâautres Ă©coles. Pourquoi cette poussĂ©e vers le bas ? Parce que nous sommes capables de donner un meilleur enseignement Ă lâuniversitĂ©, et parce que les Ă©tudiants qui y arrivent ont une meilleure formation . Science et Philosophie Quâest-ce que la science ? Bien sur vous le savez tous, puisque vous lâenseignez. Câest Ă©vident. Que puis-je dire de plus ? Et si vous ne savez pas, chaque Ă©dition pour enseignant de nâimporte quel manuel de cours vous fournira une discussion complĂšte du sujet. On y trouve des sortes de distillations distordues et Ă©dulcorĂ©es de mĂ©langes de mots de Francis Bacon datant de quelques siĂšcles, supposĂ©s ĂȘtre alors la profonde philosophie de la science. Mais William Harvey, lâun des plus grands scientifiques expĂ©rimentateurs de lâĂ©poque qui faisait vraiment quelque chose, a dit que ce que Bacon considĂ©rait comme la science Ă©tait la science dâun lord chancelier. Il [Bacon] parlait de faire des observations, mais omettait le facteur vital du jugement sur ce quâil faut observer et Ă quoi faire attention. Et donc ce quâest la science nâest pas ce quâen ont dit les philosophes, et certainement pas ce que les manuels de cours en disent. Ce quâelle est est un problĂšme que je me suis assignĂ© aprĂšs avoir acceptĂ© de donner cette confĂ©rence. AprĂšs quelques temps je me suis rappelĂ© ce petit poĂšme Un mille-pattes Ă©tait heureux, JusquâĂ ce quâun crapaud lui dit âDis, quel pas vient aprĂšs lâautre?â Ce qui monta ses doutes jusquâau point Quâil tomba distrait dans le fossĂ© Ne sachant plus comment marcher. Toute ma vie jâai fait de la science et su ce quâelle Ă©tait, mais maintenant que je suis venu vous dire quel pas vient aprĂšs lâautre, jâen suis incapable. Plus grave encore, lâanalogie avec le poĂšme mâinquiĂšte tant que lorsque je rentrerai chez moi, je ne serai plus capable de la moindre recherche. De nombreux journalistes ont tentĂ© dâobtenir un rĂ©sumĂ© de cette prĂ©sentation, mais comme je ne lâai prĂ©parĂ©e que rĂ©cemment câĂ©tait impossible. Mais je peux maintenant en voir se prĂ©cipiter Ă lâextĂ©rieur pour Ă©crire de gros titres du genre âLe Professeur a qualifiĂ© le PrĂ©sident de la NSTA de crapaud.â Dans ces circonstances, vu la difficultĂ© du sujet et mon aversion pour les exposĂ©s philosophiques, je vais prĂ©senter ceci dâune maniĂšre trĂšs inhabituelle. je vais juste vous dire comment jâai appris ce quâest la science. Comment jâai appris ce quâest la science Câest un peu enfantin. Je lâai appris quand jâĂ©tais un enfant. Je lâavais dans le sang depuis le dĂ©but. Et je voudrais vous dire comment je lâai attrapĂ©. On dirait que jâessaie de vous dire comment enseigner la science, mais ce nâest pas mon intention. Je vais vous dire ce quâest la science en vous disant comment jâai appris ce quâest la science. Mon pĂšre me lâa dit. Quand ma mĂšre me portait, Ă ce quâon mâa dit car je ne me rappelle pas de la conversation, mon pĂšre a dit âsi câest un garçon, il sera un scientifique.â Comment lâa-t-il fait ? Il ne mâa jamais dit que je devrais devenir un scientifique. Il nâĂ©tait pas un scientifique, il Ă©tait un businessman, responsable des ventes dans une compagnie dâuniformes, mais il lisait sur la science et aimait ça. Quand jâĂ©tais trĂšs jeune, la premiĂšre histoire dont je me souvienne, quand je mangeais encore dans un siĂšge surĂ©levĂ©, mon pĂšre jouait avec moi aprĂšs le dĂźner. Il avait amenĂ© un tas de vieux carreaux de sol de salle de bains de je ne sais oĂč Ă Long Island. On les disposait sur la tranche, lâun Ă cĂŽtĂ© de lâautre, et jâavais le droit de faire tomber celui Ă une extrĂ©mitĂ© et de regarder tous les dominos tomber. Jusquâici ça va. Puis, le jeu sâest compliquĂ©. Il y avait des carreaux de diffĂ©rentes couleurs. Je devais en mettre un blanc, deux bleus, un blanc, deux bleus, et encore un blanc et puis deux bleus, et si je voulais mettre encore un bleu, je devais en mettre quand mĂȘme un blanc avant. Vous reconnaissez lâhabituelle intelligence insidieuse dâabord leur faire plaisir en jouant, et puis injecter lentement du matĂ©riel Ă©ducatif. Alors ma mĂšre, qui est une femme beaucoup plus sensible, commença Ă rĂ©aliser lâinsidiositĂ© de ses efforts et dit âMel sâil te plaĂźt, laisse ce pauvre enfant poser un carreau bleu sâil en a envie.â Mon pĂšre dit âNon, je veux quâil fasse attention aux motifs âpatternsâ. Câest la seule chose que je peux faire en mathĂ©matiques Ă ce stade prĂ©coce.â Si je donnais une confĂ©rence sur â Quâest-ce que les mathĂ©matiquesâ je vous aurais dĂ©jĂ rĂ©pondu les mathĂ©matiques, câest la recherche de motifs, de modĂšles. Les mathĂ©matiques Jâaimerais vous apporter une autre preuve que les mathĂ©matiques ne sont que des modĂšles. Quand jâĂ©tais Ă Cornell, jâĂ©tais absolument fascinĂ© par le corps estudiantin qui, me semblait il, Ă©tait une sorte de dilution de quelques personnes sensĂ©es dans une grande masse muette dâĂ©tudiants en Ă©conomie familiale etc qui incluait beaucoup de filles. Jâavais lâhabitude de mâasseoir Ă la cafĂ©tĂ©ria avec ces Ă©tudiantes et en mangeant, jâessayais dâintercepter leurs conversations pour voir si un mot intelligent en sortait. Vous pouvez imaginer ma surprise lorsque je dĂ©couvris cette chose qui me semble Ă©norme. JâĂ©coutais une conversation entre deux filles, et lâune expliquait que si vous voulez faire une ligne droite, voyez-vous, vous vous dĂ©placez dâun certain nombre de carreaux vers la droite pour chaque ligne de carreaux que vous traversez, ou autrement dit, si vous rĂ©pĂ©tez le mĂȘme dĂ©placement vers la droite pour chaque ligne vers le haut, vous faites une ligne droite. Un grand principe de gĂ©omĂ©trie analytique ! JâĂ©tait stupĂ©fait. Je nâavais pas rĂ©alisĂ© que lâesprit fĂ©minin Ă©tait capable de comprendre la gĂ©omĂ©trie analytique.* Application de la gĂ©omĂ©trie analytique Elle continua en disant âSuppose que tu as une autre ligne venant dâune autre direction et que tu cherches oĂč elles vont se croiser. Suppose quâune ligne va 2 Ă droite pour 1 en haut, et que lâautre va 3 Ă droite pour 1 en haut et quâelles commencent Ă 20 lignes dâĂ©cart.â etc. JâĂ©tais Ă©poustouflĂ©. Elle arriva Ă dire oĂč lâintersection se produisait. Et puis je compris quâelle expliquait Ă lâautre comment tricoter des bas âargyleâ. Jâen ai tirĂ© une leçon lâesprit fĂ©minin est capable de comprendre la gĂ©omĂ©trie analytique. Les gens qui ont insistĂ© depuis des annĂ©es, en dĂ©pit de toutes les preuves Ă©videntes du contraire, que les hommes et les femmes sont Ă©galement capables de pensĂ©e rationnelle on peut-ĂȘtre marquĂ© un point. La difficultĂ© est peut-ĂȘtre que nous nâavons jamais encore trouvĂ© un moyen de communiquer avec lâesprit fĂ©minin. Mais si câest fait correctement, on pourrait en tirer quelque chose⊠Je vais maintenant continuer avec ma propre expĂ©rience comme dĂ©butant en mathĂ©matiques. Une autre chose que mon pĂšre mâa dit, et je ne peux que difficilement lâexpliquer parce que câĂ©tait plus une Ă©motion que des paroles, Ă©tait que le rapport entre la circonfĂ©rence et le diamĂštre de tous les cercles Ă©tait toujours le mĂȘme, quel que soit la taille. Ca ne me semblait pas trop Ă©tonnant, mais ce rapport aveit de merveilleuses propriĂ©tĂ©s. CâĂ©tait un nombre merveilleux, un nombre profond Pi. Il y avait un mystĂšre que je ne comprenais pas totalement autour de ce nombre, mais câĂ©tait quelque chose de grand, et le rĂ©sultat fut que jâai cherchĂ© Pi partout. Quad jâai appris plus tard Ă lâĂ©cole comment Ă©crire une fraction sous forme dĂ©cimale et que jâai Ă©crit 3 1/8 = jâai cru reconnaĂźtre un ami et Ă©crivis que câĂ©tait Ă©gal P, le rapport entre la circonfĂ©rence et le diamĂštre dâun cercle. Lâinstituteur le corrigea en Jâillustre ceci pour montrer une influence. LâidĂ©e quâil y a un mystĂšre, une merveille Ă propos de ce nombre Ă©tait important pour moi, pas la valeur du nombre. Beaucoup plus tard, alors que je faisais des expĂ©riences au laboratoire, je veux dire mon labo Ă la maison, bricolant un peu ⊠non excusez-moi je ne faisait pas dâexpĂ©riences, je nâen ai jamais fait, je nâai fait que bricoler. Progressivement dans des livres et manuels jâai commencĂ© Ă dĂ©couvrir quâil existait des formules applicables Ă lâĂ©lectricitĂ© pour relier la rĂ©sistance au courant, etc. Un jour, en regardant les formules dâun bouquin quelconque, jâai dĂ©couvert la formule de la frĂ©quence de rĂ©sonance dâun circuit qui est \f=1/2\pi.\sqrt{LC}\, oĂč L est lâinductance et C la capacitĂ© ⊠du cercle ? Vous riez, mais jâĂ©tais trĂšs sĂ©rieux. Pi concernait les cercles, et voilĂ pi qui sort dâun circuit Ă©lectrique. OĂč Ă©tait le cercle ? Est-ce que vous qui avez ri savez dâoĂč ça vient ? Je dois aimer ça. Je dois le rechercher. Je dois y penser. Et puis jâai rĂ©alisĂ© que les bobines sont faites de cercles. Et quelques mois plus tard, jâai trouvĂ© un autre livre qui donnait lâinduction de bobines carrĂ©es, et pi Ă©tait dans ces formules. Jây ai rĂ©flĂ©chi Ă nouveau et rĂ©alisĂ© que le pi ne venait pas des bobines circulaires. je le comprends mieux aujourdâhui, mais dans mon cĆur je ne sais toujours pas oĂč est le cercle, dâoĂč vient ce pi. Les choses et leur nom Quant jâĂ©tais encore assez jeune, je ne sais plus exactement Ă quel Ăąge, jâavais une balle dans un chariot et jâai remarquĂ© quelque chose. Jâai couru vers mon pĂšre en disant âQuand je tire le chariot, la balle roule vers lâarriĂšre et quand je cours et que je mâarrĂȘte, la balle roule vers lâavant. Pourquoi ?â Comment rĂ©pondriez-vous ? Il a dit âĂa, personne ne le sait.â Il a dit âCâest pourtant trĂšs gĂ©nĂ©ral, ça arrive tout le temps Ă nâimporte quoi tout ce qui bouge tend Ă continuer Ă bouger, et ce qui est immobile tend Ă le rester. Si tu regardes de prĂšs, tu verras que la balle ne roule pas vers lâarriĂšre du wagon quand tu commences Ă le dĂ©placer. Elle avance aussi un peu, mais pas aussi vite que le wagon. LâarriĂšre du wagon rattrape la balle qui avait de la peine Ă commencer Ă bouger. Ca sâappelle lâinertie, ce principe.â Je me suis Ă©videmment dĂ©pĂȘchĂ© de vĂ©rifier et câĂ©tait vrai la balle ne reculait pas. Il avait mis une diffĂ©rence trĂšs claire entre ce que nous savons et comment nous lâappelons. A propos de cette relation entre les choses et leur nom, je voudrais vous raconter une autre histoire. Nous avions lâhabitude lâaller aux montagnes Catskill pour les vacances. A New-York, on va aux montagnes Catskill pour les vacances. Les pauvres maris devaient travailler la semaine, mais ils se dĂ©pĂȘchaient de revenir le weekend pour rester avec leurs familles. Ces weekends, mon pĂšre mâemmenait marcher dans les bois. On allait souvent marcher, et tout apprendre sur la nature en mĂȘme temps. Mais dâautres enfants, des amis Ă moi voulaient aussi venir et demandaient Ă mon pĂšre de les emmener. Il ne voulait pas, disant que jâĂ©tais plus avancĂ©. Je nâessaie pas de vous dire comment enseigner, parce que mon pĂšre le faisait avec une classe dâun seul Ă©lĂšve; sâil en avait eu plus dâun, il en aurait Ă©tĂ© incapable. Donc nous allions tout seuls dans les bois. Mais les mĂšres Ă©taient trĂšs puissantes Ă lâĂ©poque, comme aujourdâhui, et elles ont convaincu les autres pĂšres dâemmener leurs propres fils marcher dans les bois. Alors tout les pĂšres emmenĂšrent tous les garçons dans les bois un dimanche aprĂšs-midi. Le jour suivant, lundi, nous jouions ensemble et un garçon mâa demandĂ© â Tu vois lâoiseau sur le tronc lĂ bas ? Quel est son nom?â Jâai dit âJâen ai pas la moindre idĂ©eâ Il a dit âCâest une grive Ă gorge rousse. Ton pĂšre ne tâapprends pas grand chose en sciences.â Jâai souri intĂ©rieurement parce que mon pĂšre mâavait dĂ©jĂ enseignĂ© que le nom ne dit rien de lâoiseau. Il mâavait dit âTu as vu cet oiseau en anglais on lâappelle brown-throated thrush**, mais en allemand on lâappelle HalsenflĂŒgel, et les chinois lâappellent 蔀éąéž«, et mĂȘme si tu connais tous ces noms, tu ne connais toujours rien de lâoiseau, tu ne sais que quelque chose sur les hommes, comment ils appellent lâoiseau. En fait cette grive chante, apprend Ă voler Ă ses jeunes, et pendant lâĂ©tĂ© elle vole si loin Ă travers tout le pays, et personne ne sait comment elle trouve son cheminâ et ainsi de suite. Il y a une diffĂ©rence entre le nom dâune chose et ce qui se passe. Le rĂ©sultat de ceci est que je ne peux pas me rappeler le nom de quiconque, et quand des gens discutent de physique avec moi ils sont souvent exaspĂ©rĂ©s quand ils me parlent de âlâeffet Fitch-Croninâ et que je demande âquel est cet effet?â parce que je ne peux pas me rappeler du nom. Je voudrais dire un mot ou deux, si je peux interrompre ma petite histoire, sur les mots et dĂ©finitions, parce quâil est nĂ©cessaire dâapprendre les mots. Ce nâest pas la science. Mais ça ne veut pas dire que, juste parce que ce nâest pas de la science, nous ne devons pas enseigner les mots. Nous ne parlons pas de ce que nous devons enseigner, nous parlons de ce quâest la science. Ce nâest pas de la science de savoir comment convertir des degrĂ©s Centigrade en Fahrenheit. Câest nĂ©cessaire, mais ce nâest pas exactement de la science. Dans le mĂȘme genre, si vous discutiez de ce quâest lâart, vous ne diriez pas que lâart câest de savoir quâun crayon 3-B est plus doux quâun crayon 2-H. Il y a une diffĂ©rence. Ăa ne veut pas dire quâun prof dâart ne doit pas lâenseigner, oĂč quâun artiste sera Ă lâaise sâil ne connaĂźt pas ça. En fait vous pouvez dĂ©couvrir ça en une minute en faisant des essais, mais câest une approche scientifique que les profs dâart ne penseront peut-ĂȘtre pas Ă expliquer. Afin de pouvoir nous parler, nous devons avoir des mots et câest bien ainsi. Câest une bonne idĂ©e dâessayer de voir la diffĂ©rence, et câest une bonne idĂ©e de savoir quand nous enseignons des outils de la science comme des mots, et quand nous enseignons la science elle-mĂȘme. Quâest-ce qui le fait bouger ? Pour rendre ce point encore plus clair, je vais critiquer dĂ©favorablement certains livres de science, ce qui nâest pas trĂšs juste car avec un peu dâingĂ©niositĂ© je peux aussi trouver des aspects dĂ©favorables aux autres. Il y a un manuel de science qui, Ă la premiĂšre leçon du niveau primaire commence de maniĂšre malheureuse Ă enseigner la science parce quâil part dâune fausse idĂ©e de ce quâest la science. On y trouve le dessin dâun chien, un chien jouet mĂ©canique, et une main prĂšs du remontoir, puis le chien bouge. Sous le dernier dessin il est Ă©crit âQuâest-ce qui le fait bouger ?â. Puis il y a lâimage dâun vrai chien avec la lĂ©gende âQuâest-ce qui le fait bouger ?â, puis lâimage dâune moto avec la question âQuâest-ce qui le fait bouger ?â et ainsi de suite. Quâest-ce qui le fait bouger ? Au dĂ©but jâai pensĂ© quâils se prĂ©paraient Ă dire ce que concerne la science la physique, la biologie, la chimie, mais ce nâĂ©tait pas ça. La rĂ©ponse Ă©tait dans lâĂ©dition de lâenseignant et la rĂ©ponse quâil fallait apprendre Ă©tait âLâĂ©nergie le fait bouger.â Seulement, lâĂ©nergie est un concept trĂšs subtil. Il est trĂšs trĂšs difficile de le comprendre correctement. Ce que je veux dire, câest quâil nâest pas facile de comprendre lâĂ©nergie assez bien pour lâutiliser correctement, de maniĂšre Ă pouvoir dĂ©duire quelque chose correctement en utilisant lâĂ©nergie. Câest aprĂšs lâĂ©cole primaire. Ca serait tout aussi bien de dire âDieu lâa fait bougerâ ou âlâesprit le fait bougerâ ou âla dĂ©plaçabilitĂ© movability le fait bougerâ. En fait on peut tout aussi bien dire âLâĂ©nergie lâa arrĂȘtĂ©â. Voyez ça ainsi ce nâest que la dĂ©finition de lâĂ©nergie, elle doit ĂȘtre inversĂ©e. On peut dire que quand quelque chose bouge il possĂšde de lâĂ©nergie, mais pas que câest lâĂ©nergie qui le fait bouger. Il y a une subtile diffĂ©rence. Câest la mĂȘme quâĂ propos de lâinertie. Peut-ĂȘtre que je peux rendre cette diffĂ©rence plus claire ainsi quand vous demandez Ă un enfant ce qui fait bouger le jouet, vous devriez penser Ă ce quâun humain normal rĂ©pondrait. La rĂ©ponse est que vous avez remontĂ© le ressort il essaie de se dĂ©rouler en entraĂźnant des engrenages. Quelle bonne maniĂšre de commencer un cours de science. DĂ©montez le jouet, voyez comment il fonctionne. Voyez la subtilitĂ© des engrenages, voyez les cliquets. Apprenez quelque chose du jouet, comment il est assemblĂ©, lâingĂ©niositĂ© des gens qui ont conçu les cliquets et les autres piĂšces. Câest bien. La question est bonne. La rĂ©ponse est un peu maladroite parce que ce quâils essayaient de faire Ă©tait dâenseigner une dĂ©finition de lâĂ©nergie, mais au moins quelque chose est appris. Supposez quâun Ă©lĂšve dise âJe ne pense pas que lâĂ©nergie le fasse bougerâ. OĂč va la discussion depuis lĂ ? PĂ©dagogie Jâai finalement dĂ©couvert un test permettant de savoir si vous avez enseignĂ© une idĂ©e ou juste enseignĂ© une dĂ©finition. Le test fonctionne comme ça. Vous dites âSans utiliser le mot que vous venez dâapprendre, essayer de reformuler ce que vous venez dâapprendre avec vos propres mots.â Sans utiliser le mot âĂ©nergieâ, dites moi ce que vous savez du mouvement du chien. Si vous ne pouvez pas, vous nâavez rien appris sur la science. Ca peut ĂȘtre assez. Peut-ĂȘtre que vous ne voulez pas enseigner quelque chose sur la science tout de suite. Vous devez enseigner des dĂ©finitions. Mais pour la toute premiĂšre leçon, est-ce que ça ne pourrait pas ĂȘtre destructeur ? Je trouve que pour la leçon numĂ©ro un, apprendre une formule mystique pour rĂ©pondre aux questions est trĂšs mauvais. Le livre en a dâautres âLa gravitĂ© le fait tomber.â, âLes semelles de vos chaussures sâusent Ă cause du frottementâ. Les chaussures sâusent parce les petites aspĂ©ritĂ©s du trottoir se plantent dans les semelles et en arrachent de petits morceaux. De dire seulement que câest Ă cause du frottement est regrettable, parce que ce nâest pas de la science. Mon pĂšre ne sâest que peu occupĂ© de lâĂ©nergie et nâa utilisĂ© le terme quâaprĂšs que jâaie une petite idĂ©e lĂ dessus. Je sais ce quâil aurait dit, parce quâil a fait essentiellement la mĂȘme chose, quoique pas avec le mĂȘme exemple du jouet. Il aurait dit âil bouge parce que le soleil brilleâ sâil avait voulu donner la mĂȘme leçon. Jâaurais dit âNon. Quâest-ce que ça Ă a voir avec le soleil qui brille ? Il bouge parce que jâai remontĂ© le ressort.â â âEt mon ami, pourquoi est-tu capable de remonter le ressort ?â â âJe mange.â â âEt que manges tu, mon ami ?â â âJe mange des plantes.â â âEt comment poussent-elles ?â â âElles poussent parce que le soleil brille.â Et câest la mĂȘme chose pour le vrai chien. Et pour lâessence ? Energie du soleil accumulĂ©e, capturĂ©e par les plantes et prĂ©servĂ©e dans le sol. Les autres exemples finissent tous avec le soleil. Et ainsi, la mĂȘme idĂ©e que celle que notre manuel voulait introduire est formulĂ©e dâune maniĂšre trĂšs intĂ©ressante. Toutes les choses que nous voyons bouger bougent parce que le soleil brille. Ca explique la relation dâune source dâĂ©nergie Ă lâautre, et ça ne peut pas ĂȘtre niĂ© par un enfant. Sâil dit âje ne crois pas que ça peut ĂȘtre du au soleil qui brilleâ, vous pouvez commencer une discussion. Donc il y a une diffĂ©rence. Câest juste un exemple de la diffĂ©rence entre les dĂ©finitions, qui sont nĂ©cessaires, et la science. Ma seule objection dans ce cas particulier est que câĂ©tait Ă la premiĂšre leçon. Ca doit certainement venir plus tard, de dire ce quâest lâĂ©nergie, mais pas aprĂšs une question aussi simple que âquâest-ce qui fait bouger le chien ?â. Il faut donner une rĂ©ponse dâenfant Ă un enfant âouvrons-le, et examinons ça.â Ăloge de lâobservation Pendant ces ballades dans les bois, jâai appris plein de choses. Sur les oiseaux par exemple, jâai dĂ©jĂ mentionnĂ© les migrations, mais je vais vous donner un autre exemple Ă propos des oiseaux de la forĂȘt. Au lieu de les nommer, mon pĂšre mâa dit une fois âRegarde, tu vois comme cet oiseau picote dans ses plumes ? Il picote beaucoup ses plumes, Pourquoi penses-tu quâil fait ça ?â Jâai pensĂ© que câĂ©tait parce que les plumes Ă©taient froissĂ©es, et quâil essayait de les lisser. Mon pĂšre âDâaccord, quand, ou comment ses plumes se seraient froissĂ©es ?â âQuand il vole. Quand il marche câest bon, mais quand il vole ça froisse ses plumes.â Alors il me dit âAlors dans ce cas, il devrait picoter plus ses plumes juste aprĂšs un atterrissage quâaprĂšs quâil les ait lissĂ©es et marchĂ© au sol un moment. Ok, observons.â Alors on a regardĂ©, observĂ©, et il est apparu que lâoiseau picorait ses plumes tout autant et tout aussi souvent, indĂ©pendamment du temps passĂ© au sol, et pas seulement juste aprĂšs un vol. Donc mon idĂ©e Ă©tait fausse, et je nâarrivais pas Ă trouver la bonne raison. Mon pĂšre me lâa rĂ©vĂ©lĂ©e. Câest que les oiseaux ont des poux. Les plumes produisent de petits flocons, dit mon pĂšre, et les poux les mangent. Et aux articulations des pattes de ces poux, il y a un peu de graisse qui est sĂ©crĂ©tĂ©e, et il y a une larve dâacarien qui se nourrit de cette graisse. Mais cette graisse est si nutritive que la larve ne peut pas la digĂ©rer complĂštement, alors le liquide quâelle rejette contient trop de sucre, et dans ce sucre peut vivre un microbe qui ⊠etc. Les faits ne sont pas justes, mais lâidĂ©e est correcte. Dâabord jâai appris sur le parasitisme, une bĂȘte sur une autre, sur une autre, sur une autre. Et puis il continua en disant que partout dans le monde oĂč il y a une source de quelque chose qui peut ĂȘtre mangĂ© pour que la vie continue, des espĂšces vivantes trouvent une maniĂšre dâutiliser cette source, et que chaque petite goutte est mangĂ©e par quelque chose. Lâimportant dans ceci est que le rĂ©sultat de lâobservation, mĂȘme si jâĂ©tais incapable dâarriver Ă la conclusion ultime, Ă©tait une fantastique piĂšce dâor, avec de merveilleux rĂ©sultats. CâĂ©tait merveilleux. Supposez quâil mâait dit dâobserver, de faire une liste, de regarder et dâĂ©crire, et quand jâaurais Ă©crit la liste, de la ranger avec 130 autres listes dans un carnet de notes. Jâaurais appris que lâobservation est pĂ©nible, et quâil nâen sort pas grand chose. Je crois quâil est trĂšs important, en tout cas ça lâa Ă©tĂ© pour moi, que si vous vous enseignez Ă faire des observations, vous devez montrer que quelque chose de merveilleux peut en rĂ©sulter. Jâai appris Ă ce moment lĂ ce quâĂ©tait la science câĂ©tait de la patience. Si vous regardiez, observiez et faisiez attention, vous receviez une belle rĂ©compense, mais pas Ă tous les coups. Quand je suis devenu plus adulte, la consĂ©quence a Ă©tĂ© que jâai travaillĂ© sur des problĂšmes pĂ©niblement, heure aprĂšs heure pendant des annĂ©es, parfois moins longtemps, avec beaucoup dâĂ©checs, beaucoup de choses jetĂ©es dans la corbeille, mais une fois de temps en temps il y avait lâor dâune nouvelle comprĂ©hension que jâai appris Ă espĂ©rer alors que jâĂ©tais enfant, le rĂ©sultat de lâobservation. Parce que je nâavais pas appris que lâobservation nâavait pas de valeur. En passant, nous avons appris dâautres choses dans la forĂȘt. Pendant nos excursions nous voyions les choses habituelles et discutions sur beaucoup de choses sur le combat des arbres pour la lumiĂšre, comment ils poussent le plus haut possible, et comment ils rĂ©solvent le problĂšme de faire monter lâeau Ă plus de 10 ou 12 mĂštres, sur les petites plantes plantes sur le sol qui capturent les petits rayons de lumiĂšre qui traversent toute la vĂ©gĂ©tation, et ainsi de suite. Un jour, aprĂšs que nous ayons vu tout ceci, mon pĂšre mâemmena encore dans les bois et dit âpendant tout ce temps oĂč nous avons observĂ© la forĂȘt, nous nâavons vu que la moitiĂ© de ce qui sây passe, exactement la moitiĂ©.â Jâai dit âQue veux-tu dire ?â Il a dit âNous avons regardĂ© comment toutes ces choses poussent, croissent, mais pour chaque parcelle de croissance il doit y avoir la mĂȘme quantitĂ© de dĂ©croissance, sinon les matiĂšres seraient consommĂ©es pour toujours les arbres morts resteraient pour toujours au sol aprĂšs avoir tout absorbĂ© de lâair et du sol, et ça ne retournerait pas dans le sol ou lâair, donc rien dâautre ne pourrait pousser ici car il nây aurait plus de matiĂšre disponible. Pour chaque parcelle de croissance, il doit y avoir exactement la mĂȘme quantitĂ© de dĂ©croissance. Alors suivirent beaucoup de ballades dans les bois au cours desquelles nous avons cassĂ© de vieilles souches, vu pousser des mousses et des champignons. Il ne pouvait pas me montrer les bactĂ©ries, mais nous avons vu lâeffet de la pourriture etc. Jâai vu la forĂȘt comme un processus continu de transformation des matiĂšres. Il y eut beaucoup de choses similaires, de descriptions faites dâĂ©trange maniĂšres. Il commençait souvent Ă parler de certains sujets ainsi âSuppose quâun Martien atterrisse et regarde le mondeâ. Par exemple, quand je jouais au train Ă©lectrique, il me racontait quâil y avait une grande roue mue par lâeau, branchĂ©e par des fils de cuivre qui partent dans toutes les directions, et puis quâil y a de petites roues, et que toutes ces petites roues tournent quand la grande roue tourne. Le lien entre elles nâest que de cuivre et du fer, rien dâautre, aucune piĂšce mobile. Tu tournes la grande roue lĂ , et toutes les petites roues tournent aussi, partout, et ton train est lâune dâelles. CâĂ©tait un monde merveilleux que mon pĂšre me dĂ©crivait. Vous pourriez vous demander ce quâil en a tirĂ©. Je suis allĂ© au MIT. Je suis allĂ© Ă Princeton. Je suis rentrĂ© Ă la maison et il mâa dit âMaintenant tu as une Ă©ducation scientifique. Jâai toujours voulu savoir quelque chose que je nâai jamais compris et, mon fils, jâaimerais que tu me lâexpliques.â Jâai dit oui. Il a dit âJe sais quâils disent que la lumiĂšre est Ă©mise par un atome quand il passe dâun Ă©tat Ă lâautre, dâun Ă©tat excitĂ© Ă un Ă©tat de plus basse Ă©nergie.â Jâai dit âCâest juste.â âEt la lumiĂšre est une sorte de particule, un photon je crois.â âOuiâ âDonc si le photon sort dâun atome quand il passe de lâĂ©tat excitĂ© Ă lâĂ©tat plus bas, le photon doit avoir Ă©tĂ© dans lâatome excitĂ©.â Jâai dit âEn fait, non.â Il a dit âComment peux tu imaginer une particule, un photon sortant de lâatome sans avoir Ă©tĂ© dedans Ă lâĂ©tat excitĂ© ?â Jây ai pensĂ© quelques minutes et jâai dit âJe suis dĂ©solĂ©, je ne sais pas. Je ne peux pas te lâexpliquer.â Il a Ă©tĂ© trĂšs déçu aprĂšs toutes ces annĂ©es Ă essayer de mâenseigner quelque chose, que ça ne donne que de si piĂštres rĂ©sultats. Ăloge du doute Ce quâest la science, je pense, pourrait ĂȘtre quelque comme ça il y a eu sur cette planĂšte une Ă©volution de la vie jusquâĂ lâĂ©tape oĂč existent des animaux Ă©voluĂ©s, intelligents. Je ne veux pas dire juste les ĂȘtres humains, mais les animaux qui jouent et apprennent de leurs expĂ©riences, comme les chats. Mais Ă cette Ă©tape, chaque animal nâapprendrait que de ses propres expĂ©riences. Ils se dĂ©veloppement graduellement, jusquâĂ ce que certains animaux puissent apprendre plus vite de lâexpĂ©rience, et puissent mĂȘme apprendre des expĂ©riences des autres en regardant, ou lâun peut montrer Ă un autre, ou lâun voit ce que lâautre a il est apparu la possibilitĂ© que tous puissent apprendre, mais la transmission Ă©tait inefficace, et ils pouvaient mourir, et peut-ĂȘtre celui qui apprenait mourrait aussi avant quâil puisse transmettre Ă dâautres. La question est est-il possible dâapprendre plus vite ce que quelquâun a appris par accident que la vitesse Ă laquelle la chose est oubliĂ©e, soit Ă cause dâune mauvaise mĂ©moire, soit en raison de la mort des Ă©lĂšves ou de lâinventeur ? Alors est venu le temps, peut-ĂȘtre, oĂč pour certaines espĂšces humaines ?, la vitesse de lâapprentissage augmenta, atteignant une telle cadence que soudainement quelque chose de complĂštement nouveau arriva les choses apprises par un unique animal passĂšrent Ă un autre, puis Ă un autre si vite que ce nâest pas oubliĂ© par lâespĂšce. Ainsi devint possible une accumulation de la connaissance de lâespĂšce. Ceci a Ă©tĂ© appelĂ© âtime-bindingâ. Je ne sais pas qui lâa appelĂ© comme ça en premier NdT Alfred Korzybski. En fin de compte, nous avons ici, dans cette salle, des reprĂ©sentants de ces animaux assis, essayant de relier leurs expĂ©riences, chacun essayant dâapprendre de lâautre. Ce phĂ©nomĂšne dâavoir une mĂ©moire de lâespĂšce, dâavoir une accumulation de connaissances transmissible dâune gĂ©nĂ©ration Ă lâautre Ă©tait nouvelle, mais elle incorporait une maladie il Ă©tait possible de transmettre des idĂ©es qui nâĂ©taient pas profitables Ă lâespĂšce. LâespĂšce a des idĂ©es, mais elles ne sont pas nĂ©cessairement profitables. Donc un temps est venu oĂč les idĂ©es, bien quâaccumulĂ©es trĂšs lentement, nâĂ©taient pas que des choses utiles, mais un tas de toutes sortes de prĂ©jugĂ©s, et de croyances Ă©tranges et bizarres. Alors un moyen dâĂ©viter la maladie a Ă©tĂ© dĂ©couvert. CâĂ©tait de douter que ce qui Ă©tait transmis du passĂ© Ă©tait vrai, et dâessayer de redĂ©couvrir ab initio ce quâil en est Ă partir de lâexpĂ©rience plutĂŽt que de faire confiance Ă lâexpĂ©rience du passĂ© sous la forme sous laquelle elle nous a Ă©tĂ© transmise. Et câest ce quâest la science le rĂ©sultat de la dĂ©couverte selon laquelle il vaut la peine de revĂ©rifier par de nouvelles expĂ©riences directes, et ne pas nĂ©cessairement faire confiance Ă lâexpĂ©rience de lâespĂšce humaine du passĂ©. Câest ma meilleure dĂ©finition. Je voudrais vous rappeler toutes les choses que que vous savez trĂšs bien afin de vous donner un peu dâenthousiasme. En religion, les leçons de morale sont enseignĂ©es, mais elles ne sont pas juste enseignĂ©es une fois, vous ĂȘtes inspirĂ©s encore et encore, et je crois quâil est nĂ©cessaire dâinspirer encore et encore, et de rappeler la valeur de la science aux enfants, aux ados et Ă tout le monde, de diffĂ©rentes maniĂšres, et pas seulement pour quâils deviennent de meilleurs citoyens, plus capables de contrĂŽler la nature etc. Il y a autre chose. Il y a la valeur de la vision du monde créée par la science. Il y a la beautĂ© et les merveilles du monde que nous dĂ©couvrons Ă travers les rĂ©sultats de ces nouvelles expĂ©riences. Câest-Ă -dire les rĂ©sultats de ce que je vous ai juste rappelĂ©, que les choses bougent parce que le soleil brille. Cependant, pas tout ne bouge parce que le soleil brille. La Terre tourne indĂ©pendamment du fait que le soleil brille, et la rĂ©action nuclĂ©aire produit de lâĂ©nergie sur Terre, une nouvelle source. Probablement que les volcans sont alimentĂ©s par une source diffĂ©rente que le rayonnement du soleil. Le monde a lâair si diffĂ©rent aprĂšs avoir appris la science. Par exemple les arbres sont faits dâair, principalement. Quand ils brĂ»lent ils retournent Ă lâair et dans leurs flammes, la chaleur libĂ©rĂ©e est celle que le soleil a fourni pour convertir lâair en arbre, et dans les cendres il y a les petits restes de ce qui nâest pas venu de lâair mais de la terre. Ce sont de magnifiques choses, et le contenu de la science en est merveilleusement plein. Elles sont trĂšs inspiratrices, et peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour inspirer dâautres. Une autre des qualitĂ©s de la science est quâelle enseigne la valeur de la pensĂ©e rationnelle ainsi que lâimportance de la libertĂ© de pensĂ©e, les rĂ©sultats positifs qui viennent du doute que les leçons sont toutes justes. Vous devez distinguer ici, spĂ©cialement dans lâenseignement, la science des formes et procĂ©dures qui sont parfois utilisĂ©es pour dĂ©velopper la science. Il est facile de dire âNous Ă©crivons, expĂ©rimentons et observons et faisons ceci ou cela.â Vous pouvez recopier ce schĂ©ma exactement. Mais les grandes religions sont dissipĂ©es par les formes suivantes en oubliant le contenu exact de lâenseignement de leurs fondateurs. De la mĂȘme maniĂšre, il est possible de suivre le schĂ©ma et de lâappeler âscienceâ, mais câest de la pseudo-science. Câest ainsi que nous souffrons tous de cette sorte de tyrannie qui existe aujourdâhui dans beaucoup dâinstitutions qui sont passĂ©es sous lâinfluence de conseillers pseudo-scientifiques. Il y a beaucoup dâĂ©tudes en pĂ©dagogie par exemple oĂč des gens font des observations, des listes, des statistiques et ainsi de suit Câest tout au plus une sorte dâimitation de science analogue aux terrains dâaviation en bois faits par des indigĂšnes des Mers du Sud, avec tours de contrĂŽle et tout. Les indigĂšnes espĂšrent quâun grand avion viendra. Ils ont mĂȘme construits des avions en bois ressemblant Ă ceux quâils voient sur les aĂ©roports autour dâeux, mais Ă©tonnamment, leurs avions ne volent pas *** Le rĂ©sultat de cette imitation pseudo-scientifique est de produire des experts, tels que beaucoup dâentre vous. Mais vous les instituteurs, qui enseignez rĂ©ellement aux enfants Ă la base, vous pouvez peut-ĂȘtre douter des experts. En fait, je peux aussi dĂ©finir la science dâune autre maniĂšre la science est la croyance en lâignorance des experts. Quand quelquâun dit âLa science nous enseigne ceci ou celaâ, il utilise le mot de maniĂšre incorrecte. La science nâenseigne rien du tout, câest lâexpĂ©rience qui enseigne. Si on vous dit âLa science a montrĂ© ceci ou cela,â vous pouvez demander âComment la science montre ceci ? Comment les scientifiques lâont-ils dĂ©couvert ? Comment ? Quoi ? OĂč ?â Ca ne doit pas ĂȘtre âla science a montrĂ©â mais âcette expĂ©rience, ou cet effet a montrĂ©.â Et vous avez tout autant le droit que nâimporte qui dâautre en entendant parler de ces expĂ©riences, mais soyez patient en Ă©coutant toutes les informations, de juger si une conclusion sensĂ©e en a Ă©tĂ© tirĂ©e. Dans un domaine tel que lâĂ©ducation, si compliquĂ© que la vraie science nâa pas encore Ă©tĂ© capable dâaller nulle part, nous devons nous reposer sur une sorte de sagesse dĂ©modĂ©e, une sort dâĂ©vidence dirigĂ©e. Je suis en train dâinciter lâenseignant de base Ă avoir de lâespoir et de la confiance en lâintelligence naturelle et le sens commun. Les experts qui vous dirigent peuvent avoir tort. Jâai probablement ruinĂ© le systĂšme, et le Ă©tudiants qui viennent Ă Caltech ne seront plus assez bons. je crois que nous vivons une Ă©poque non scientifique dans laquelle tout le verbiage de la communication, de la tĂ©lĂ©vision, les mots, les livres etc. sont non scientifiques. En consĂ©quence, il y a une quantitĂ© considĂ©rable de tyrannie intellectuelle au nom de la science. Finalement, Ă propos de ce âtime-bindingâ, un homme ne peut pas vivre aprĂšs la tombe. Chaque gĂ©nĂ©ration qui dĂ©couvre quelque chose par sa propre expĂ©rience doit la transmettre plus loin, mais doit la transmettre avec un dĂ©licat Ă©quilibre de respect et dâirrespect, de maniĂšre Ă ce que lâespĂšce humaine, maintenant quâelle est consciente de la maladie qui lâatteint, nâinflige pas ses erreurs Ă sa jeunesse de maniĂšre trop rigide, mais passe la sagesse accumulĂ©e plus la sagesse qui nâest peut-ĂȘtre pas de la sagesse. Il est nĂ©cessaire dâenseigner Ă la fois dâaccepter et de rejeter le passĂ© avec une sorte dâĂ©quilibre qui demande un talent considĂ©rable. La science, en plus de tous ses sujets, contient en elle-mĂȘme une leçon sur le danger de croire Ă lâinfaillibilitĂ© des plus grands maĂźtres de la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente. Alors continuez. Merci. Notes * voilĂ pour mesurer le niveau de machisme ambiant dans les annĂ©es 1940 ⊠** mais jâai des doutes selon la WikipĂ©dia cet oiseau ne vit pas en AmĂ©rique du Nord, et je nâai trouvĂ© âHalsenflĂŒgelâ nulle part⊠DâaprĂšs les recherches dâune passionnĂ©e dâoiseaux ma maman, ce serait plus probablement la grive Ă ailes rousses, Dusky Thrush en anglais, RostflĂŒgeldrossel en anglais, æéž« en chinois et Turdus eunomus en latin. *** Feynman a prononcĂ© en 1974 un discours Ă Caltech intitulĂ© âCargo cult scienceâ utilisant cette image, et il est dĂ©jĂ traduit ici âla science du culte du cargoâ RĂ©fĂ©rence Feynman, R. P. âWhat Is Scienceâ, 1969, The Physics Teacher, 76, 313. doi
Conversations scientifiques animĂ©es par Ătienne Klein. Textes lus par LĂ©on BonnaffĂ©. En cinq Ă©missions enregistrĂ©es en public au théùtre de l'OdĂ©on, la Conversation scientifique se propose de parcourir la frontiĂšre qui sĂ©pare la connaissance de l'ignorance.âŠConversations scientifiques animĂ©es par Ătienne lus par LĂ©on cinq Ă©missions enregistrĂ©es en public au théùtre de l'OdĂ©on, la Conversation scientifique se propose de parcourir la frontiĂšre qui sĂ©pare la connaissance de l'ignorance. La connaissance et lâignorance se tiennent par la barbichette ignorer quâon ignore, câest ne rien savoir ; mais savoir quâon ignore, câest vraiment savoir, car cela suppose de savoir tout ce qui est dĂ©jĂ Ă©tabli et dâĂȘtre capable de dĂ©tecter ce qui fait encore trou dans la connaissance.
ActualitĂ© SantĂ© SantĂ© publique Par PubliĂ© le 13/05/2013 Ă 1343 Que croire ? Et qui croire ? Maladie de la vache folle, ondes Ă©lectromagnĂ©tiques, Sras, changement climatique, gaz de schiste Pour rĂ©pondre Ă ces questions, l'Ihest vient d'Ă©diter Partager la science. L'illettrisme scientifique en question. Les controverses sont encore nombreuses aujourd'hui. Pas plus sans doute qu'elles ne l'Ă©taient dĂ©jĂ au XIXe siĂšcle avec les polĂ©miques autour du gaz de ville, du train, de la voiture, des mĂ©dicaments... mais elles sont plus vastes, touchent plus de gens et suscitent des rĂ©actions parfois totalement interrogations du grand public, ces affrontements entre experts» envahissent les esprits et les mĂ©dias. C'est pour tenter de voir plus clair dans les rapports entre les sciences et la sociĂ©tĂ© que l'Institut des hautes Ă©tudes de science et de sociĂ©tĂ© Ihest vient de publier un ouvrage collectif regroupant plus d'une vingtaine de personnalitĂ©s venues de divers horizons, sous la coordination de Marie-Françoise Chevalier-Leguyader, la directrice de l'Ihest. La question, provocante, posĂ©e est Partager la science. L'illettrisme scientifique en question*.Dans ces pages, on comprend qu'au moins trois modes de pensĂ©e imparfaits se confrontent autour des questions de sciences et de sociĂ©tĂ© les gens n'y connaissent rien» ; on ne leur explique pas assez bien» ; on n'en sait pas assez pour ĂȘtre affirmatif». D'oĂč un profond divorce entre sciences et sociĂ©tĂ©. Des sismologues italiens n'ont-ils pas Ă©tĂ© rĂ©cemment condamnĂ©s en justice pour n'avoir pas prĂ©vu un sĂ©isme?âŠPerle rhĂ©torique»On reproche souvent aux scientifiques de rester dans leur tour d'ivoire ; pourtant, nombreux sont ceux qui font l'effort de vulgariser» leur science. Avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Les discours portant sur l'illettrisme scientifique attribuent souvent au public une ignorance sur des principes, mĂ©thodes ou rĂ©sultats scientifiques jugĂ©s importants. Mais que se passe-t-il en rĂ©gime de controverse, qu'en est-il si cette ignorance n'est pas seulement subie, mais bien activement produite?», Ă©crit ainsi le philosophe Mathias Girel, qui rappelle comment dans les annĂ©es 1950 l'industrie du tabac menait des campagnes de dĂ©sinformation pour discrĂ©diter les rĂ©sultats scientifiques prouvant la dangerositĂ© de leur prĂšs de nous, le physicien Ătienne Klein affirme qu'il ne faut pas cesser de traduire l'intraduisible» et prend l'exemple de la pseudo-controverse» sur l'origine du changement climatique. Pour lui, on a pu entendre pendant des mois sur les ondes des assertions pseudo-scientifiques en apparence convaincantes, mais en rĂ©alitĂ© parfaitement fausses». Et de citer en exemple ce qu'il appelle une perle rhĂ©torique» d'un ancien ministre de l'Ăducation nationale qui avait dĂ©clarĂ© Comment peut-on prĂ©tendre prĂ©voir le climat du prochain siĂšcle alors que les prĂ©visions mĂ©tĂ©orologiques ne vont pas au-delĂ de quelques jours?»Bien d'autres questions sont abordĂ©es dans cet ouvrage, dont celles concernant la premiĂšre Ă©ducation et sa contribution Ă la formation et Ă l'acquisition d'une culture scientifique. Des exemples sont donnĂ©s pour les Ătats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le BrĂ©sil, la CorĂ©e ou les pays du Maghreb. Bien des progrĂšs sont encore Ă rĂ©aliser.* Partager la science. L'illettrisme scientifique en question». Ăditions Actes Sud/Ihest.
la vraie science est une ignorance qui se sait